La victime n’a pu présenter ses examens ; en raison de l’accident, un rendez-vous a été raté alors qu’un important contrat était en jeu ; suite à la fracture de la cheville, le blessé n’a pu participer à une compétition qu’il aurait pu remporter… autant d’exemples de préjudices potentiels ou réels ?

Avec des si on mettrait Paris en bouteille mais est-il possible de réclamer une indemnisation ?

Le professeur Fagnart a consacré une intéressante étude à cette problématique sous le titre évocateur : « La perte d’une chance ou la valeur de l’incertain » (La réparation du dommage, questions particulières », Anthemis, p.73)

A titre anecdotique, cette théorie de l’indemnisation de la perte d’une chance est née sur les champs de course. Quel préjudice subissait un propriétaire dont le cheval avait été empêché, en raison des agissements fautifs d’un tiers, de participer à la course et, dès lors, éventuellement de la remporter.

Pour mémoire, en application de l’article 1382, « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. ».

Que faut-il prouver ?

Pour obtenir l’indemnisation du préjudice constitué par la perte d’une chance, il appartiendra au demandeur, d’établir comme dans toute autre espèce, l’existence d’une faute et celle d’une relation causale entre ladite faute et la perte d’une chance invoquée.

Par exemple, la victime devra démontrer qu’en raison de l’accident dont un tiers est responsable, elle n’a pas pu présenter ses examens et a donc perdu la chance de réussir son année.

Cette même victime devra, en outre, démontrer la réalité de la chance et le fait que la perte a un objet certain.

A supposer que la victime soit un cancre qui, avant l’accident, multipliait les échecs dans toutes les branches, le tribunal pourrait légitimement s’interroger sur la réalité de la chance de mener à bien sa session.

Ainsi également, ne peut-il être fait grief à un avocat de ne pas avoir entamé une action dans l’hypothèse où le procès était voué à l’échec.

Une perte de chance n’est réparable qu’à condition qu’elle apparaisse sérieuse, à défaut d’être certaine (Mons, 19.1.2011).

Certaines décisions reçoivent néanmoins des réclamations reposant sur une chance fragile. En réalité, cette distinction trouve son véritable fondement, non dans la consistance, la solidité de la chance mais dans la possibilité d’un justifier de la consistance du dommage.

En effet, la perte d’une chance qui ne serait qu’une simple conjoncture, ne constituerait pas un préjudice.

De manière, à mon sens, assez discutable, la jurisprudence dominante exige en outre la perte certaine de la chance qui existait et se montre dès lors frileuse pour indemniser la perte d’une chance de réussir lorsque la victime s’est présentée et a échoué.

J’estime pour ma part que, compte tenu de l’obligation pour la victime de réduire son dommage, il ne convient pas de pénaliser celui qui, par exemple, moyennant de lourds efforts tenterait néanmoins de présenter sa session d’examen et échouerait en raison des atteintes à son intégrité physique ou psychique.

Par contre, il convient de ne pas dénaturer la problématique.

Ainsi, en matière médicale, il conviendra de se méfier des mots, la notion de « perte d’une chance étant abusivement employée. Ainsi, comme le rappelait l’Avocat Général Werquin « la perte d’une chance est un peur jeu de mots : le dommage véritable est, à l’évidence, la mort (….) il ne s’agit plus de chance mais de faits accomplis) »

En d’autres termes, dans ce type de litige, le dommage subi sera la mort et il appartiendra aux héritiers de rapporter la preuve de la faute commise et la certitude de la causalité.

Quelle indemnisation ?

La question la plus complexe est de déterminer l’étendue de l’indemnisation.

Rappelons ici le principe fondamental de l’indemnisation intégral du dommage. Il ne saurait donc être question, comme énoncé parfois, d’une indemnisation partielle du dommage en cas de perte de chance.

Comme le résume excellemment le professeur Fagnart, ce qui est réparé c’est un dommage relatif qui consiste en la perte de la chance d’obtenir un avantage absolu.

En d’autres termes, il appartient au magistrat saisi d’évaluer le préjudice subi  du fait de l’entier dommage et ensuite d’appliquer à ce préjudice total le pourcentage de chance perdue.

Cette démarche rationnelle et mathématique laisse hélas souvent la place à une indemnisation ex aequo et bono.

Ainsi, récemment, des travailleurs avaient assigné leur employeur et l’assureur avec lequel celui-ci avait contracté une assurance groupe et ce en raison d’une violation de la règle de non-discrimination telle qu’inscrite dans la loi Colla.

La Cour du Travail de Liège, dans un arrêt du 8.2.2010 considéra que si l’assureur n’avait aucune obligation personnelle de respecter l’égalité de traitement entre les bénéficiaires de l’assurance, il n’en demeurait pas moins que l’assureur aurait dû normalement avoir assez de vigilance et de prudence pour attirer l’attention de l’employeur , au minimum sur l’éventualité d’une infraction à cette règle.

La Cour considéra que le dommage subi ne consistait pas dans la perte du capital complémentaire dès lors qu’il n’était pas établi que si l’employeur avait été prévenu par l’assureur d’un risque de discrimination il eut suivi cet avis.

Quoique connaissant le montant du capital qu’aurait du percevoir les travailleurs en cas de non discrimination, la Cour eut recours à une évaluation forfaitaire du dommage.

Rappelons à cet égard que la Cour de Cassation ne cesse de rappeler qu’il ne faut recourir à une évaluation ex aequo et bono que lorsqu’aucune des parties n’est en mesure de produire des éléments permettant une appréciation exacte.

Le lecteur aura saisi la complexité de cette matière dont l’application est souvent malheureusement erronée.

Il est nécessaire de rendre le praticien attentif à la nécessité de réunir et de conserver les moyens de preuve utiles pour établir le caractère certain du dommage éprouvé.

Ainsi, dans l’hypothèse hélas fréquente de l’étudiant victime d’un accident en cours d ‘année sera-t-il bon de garder les bulletins scolaires, de collecter éventuellement les témoignages des enseignants quant aux chances de réussites de l’élève s’il n’avait pas eu d’accident.

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