Lorsqu’une des parties conteste l’état de frais et honoraires de l’expert, s’ouvre un débat sur cet état .Le juge fixera le montant des frais et honoraires sans préjudice des dommages et intérêts éventuels.

L’expert fera parfois appel à un avocat pour le défendre et, pourtant, sera selon la jurisprudence actuelle privé du droit qu’à tout justiciable à recevoir une indemnité de procédure

Qu’en est-il ?

La situation actuelle

 

Conformément à l’article 991 du Code Judiciaire, si, dans les trente jours du dépôt de l’état de frais et honoraires détaillé au greffe, une ou plusieurs parties ont exprimé leur désaccord de manière motivée, le juge ordonne la comparution des parties afin de procéder à la taxation de frais et honoraires.

 

Le juge fixe le montant des frais et honoraires sans préjudice des dommages et intérêts éventuels.

 

Le juge déclare le jugement exécutoire contre la ou les parties, ainsi qu’il est prévu pour la consignation de la provision.

 

Selon une doctrine et une jurisprudence constante, La procédure de taxation est un incident de la contestation au fond. Elle ne donne lieu en principe, ni à la perception d’un droit de requête, ni au paiement d’une indemnité de procédure. (Bruxelles (21ech.), 9 mai 2008)

 

Même si la partie qui contestait les honoraires se désiste de cette contestation et alors que le désistement emporte soumission de payer les dépens (art. 827, C.jud.), cela ne signifie pas que l’expert puisse obtenir dans le cadre de la procédure de taxation une indemnité de procédure. En effet, la procédure de taxation est un incident de la contestation au fond et ne peut être considérée comme un litige opposant  les parties  au  sens  des articles 1017 à 1022 du Code judiciaire et au tarif des dépens recouvrables à titre

d’indemnité de procédure (Liège, 28 juin 1984, J.L.M.B., 1984, p. 549; Liège,

26 sept. 1985, J.L.M.B., 1985, p. 614;Liège, 20 avril 1989, Res et jur. imm., 1990,p. 207 et COUR D’APPEL DE LIÈGE — 30 MARS 2000);

 

Est-ce à considérer que l’expert devrait, dans le cadre de telles contestations, et même s’il fait appel à un conseil, être tenu de supporter définitivement les frais et honoraires de l’avocat qu’il aurait consulté.

 

 

D’autres plaideurs privés d’indemnité

 

Rappelons, d’abord, que les experts ne sont pas les seuls citoyens à se trouver ainsi privés du droit de réclamer une indemnité de procédure.

 

Ainsi, par exemple, les délégués syndicaux qui assistent les travailleurs devant les juridictions du travail se voient refuser l’octroi d’une indemnité de procédure : Entre la partie défendue par un avocat et celle qui est défendue par un délégué syndical, il existe une différence qui repose sur un critère objectif : en règle, la première paie à son conseil des frais et honoraires librement établis par celui-ci tandis que la seconde ne se voit réclamer ni par son organisation syndicale ni par le délégué de celle-ci des sommes d’une nature et d’un montant comparables aux frais et honoraires d’un avocat.  (Cour constitutionnelle 18 décembre 2008)

 

De même, l’intervention d’un conseil technique ne fait pas l’objet d’une indemnité de procédure spécifique, ce qui a pour conséquence de laisser à charge du justiciable les frais et honoraires de celui-ci : Dès lors que le choix du  législateur de régler la matière par la fixation de montants forfaitaires qui peuvent être mis à charge de la partie succombante est raisonnablement justifié, les différences qui existent entre les avocats et les conseils techniques au regard de leur place dans le procès et de la nature de leur intervention justifient que le législateur n’ait pas étendu la réglementation spécifique qu’il adoptait pour la répétibilité des  frais et honoraires d’avocat à l’ensemble des  autres conseils qui peuvent éventuellement intervenir dans une procédure judiciaire. (Cour constitutionnelle 18 décembre 2008)

 

Une autre espèce doit retenir notre attention: la loi du 21 avril 2007 sur la répétibilité, bien qu’elle n’envisageât que les procédures civiles et pénales, ne pouvait-elle devenir la « loi-cadre » de toutes les procédures juridictionnelles ?

 

Saisie de demandes de répétibilité, la section du contentieux du Conseil d’État a répondu que les dépens afférents aux procédures menées devant elle étaient régis par l’article 30, paragraphes 5 à 9, des lois coordonnées sur le conseil d’État, ce qui excluait l’application de dispositions du code judiciaire.

 

Elle a ajouté que les dispositions sur l’indemnité de procédure apparaissent comme « la régulation d’une forme de responsabilité civile » et qu’elles porteraient donc sur un droit civil, ce qui exclurait sa compétence. (Répétibilité et partie publique, PAUL MARTENS JLMBi, 2012/27 – 1277)

 

 

 

L’introduction d’une nouvelle procédure spécifique

 

Les parties requérantes au Conseil d’État se retournèrent, dès lors, vers les tribunaux de l’Ordre Judiciaire pour réclamer une intervention dans leurs frais d’avocat, ce qui amena ces juridictions à leur accorder, non l’indemnité de procédure forfaitaire  de l’article 1022  du  code  judiciaire, mais  une réparation  qui ne  pouvait  être  qu’intégrale  puisque  les demandes  étaient  fondées  sur  l’article 1382  du  code civil (ibidem et Civ. Liège, 12 janvier 2009, et Civ. Verviers, 23 octobre 2008, J.T., 2010, p. 61)

 

Les juridictions motivaient ainsi leurs décisions : “Il faut encore mentionner que la nouvelle loi sur la répétibilité des honoraires d’avocats ne s’appliquant pas devant le Conseil d’État, l’article 1382 du Code civil permet à toute personne d’agir devant les juridictions civiles pour réclamer tout dommage en relation causale avec une faute établie, comme tel est le cas en l’espèce.”( Civ. Liège, 12.1.2009, op.cit)

 

En statuant de la sorte, les tribunaux en revenaient à la conception de la répétibilité qui a inspiré l’arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004 et s’écartait de celle suggérée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 57/2006 et consacrée par le législateur dans la loi du 21 avril 2007.

 

En d’autres termes, alors que la loi du 21 avril 2007 consacrait le principe de l’égalité des  armes, composantes du  droit à un procès équitable garanti par l’article 6  de la Convention européenne des  droits de

l’homme, le débat se nouait ici sur le plan de la responsabilité.

 

 

L’arrêt du 2.9.2004 rappel

 

Par son arrêt du 2.9.2004, la Cour suprême a en effet reconnu que les débours qui sont consentis par une victime aux fins de se faire assister par un avocat et d’obtenir ainsi la réparation de son dommage peuvent constituer un élément de ce dernier. (LA RÉPÉTIBILITÉ DES FRAIS ET HONORAIRES D’AVOCAT APRÈS L’ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION DU 2 SEPTEMBRE 2004 : RESPONSABILITÉ ET ASSURANCES, Vincent CALLEWAERT et Bertrand DE CONINCK 13944)

 

Dans son arrêt du 2.9.2004, la Cour suprême ne formulait aucune distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité extra-contractuelle, rappelant que :

 

Attendu qu’en vertu de l’article 1149 du Code civil, en cas d’inexécution fautive d’une obligation contractuelle, le débiteur de l’obligation doit entièrement répondre de la perte subie par le créancier et du gain dont celui-ci a été privé, sous réserve de l’application des articles 1150 et 1151 du Code

civil;

 

» Qu’en application de l’article 1151 de ce Code, les dommages et intérêts dus au créancier ne doivent comprendre que ce qui est une suite nécessaire de l’inexécution de la convention;

 

Que les honoraires et frais d’avocat ou de conseil technique exposés par la victime d’une faute contractuelle peuvent constituer un élément de son dommage donnant lieu à une indemnisation dans la mesure où ils présentent ce caractère de nécessité;

 

 

La Cour de Cassation énonçait ainsi clairement que les frais et honoraires d’avocat ou de conseil technique n’étaient indemnisables que dans la mesure où ils étaient en relation causale avec un manquement fautif de la partie adverse et présentait un caractère de nécessité.

 

Le dommage allégué ne sera une suite nécessaire, ou pour reprendre les termes du Code civil, immédiate et directe, de la faute contractuelle imputable au débiteur que s’il est établi que, sans cette faute, le dommage ne se serait pas produit ou, à tout le moins, ne se serait pas produit tel qu’il s’est réalisé in concreto » (I. Durant et N. Verheyden-Jeanmart, « Les dom-

mages et intérêts accordés au titre de la réparation d’un dommage contractuel », les sanctions de l’inexécution des obligations contractuelles, Bruxelles-Paris, Bruylant-L.G.D.J., p. 322, n° 20)

 

 

 

Application à l’expert ?

 

Comme rappelé ci-devant, l’octroi d’une indemnité de procédure à un expert qui a du faire appel à un conseil dans le cadre d’une contestation d’honoraires lui est refusé parce qu’il n’est pas partie au procès.

 

Serait-il envisageable qu’il introduise une nouvelle procédure contre la partie qui a contesté afin d’obtenir remboursement des frais exposés et ce sur base de l’arrêt de la jurisprudence de la Cour de Cassation du 2.9.2004 ?

 

Il est, à mon sens, difficilement soutenable qu’il existe, entre les parties et l’expert un contrat. La contestation injustifiée des honoraires de l’expert ne pourrait dès lors être considérée comme une faute contractuelle.

 

Si l’expert, dont les honoraires ont été contestés , souhaite faire usage de la jurisprudence de la Cour de Cassation, il lui appartiendra, alors, de démontrer, dans le chef de la partie qui conteste, l’existence d’une faute.

 

Or, la jurisprudence considère qu’il ne peut être reproché à une partie d’avoir opposé une vive résistance à une réclamation. Le tribunal du travail de Mons rappelle, ainsi, que « l’échange de conclusions et d’argumentations fait partie intégrante du débat judiciaire, sous peine de porter atteinte au droit à un procès équitable » (T.T. Mons, 7 septembre 2006, R.G. no 52.994/99/LL, inédit cité in J.T. n° 6250 – 1/2007 – p. 2 – La répétibilité des frais et honoraires d’avocat, Gauthier Mary)

 

De même, il est souvent rappelé que « Agir en justice est un droit, même lorsque la juridiction conclut au débouté » (Civ. Liège, 3 février 2005, www.barreaudeliege.be)

 

Pour avoir recours à la jurisprudence tirée de l’arrêt du 2.9.2004, il conviendrait de pouvoir démontrer dans le chef de la partie qui conteste, l’existence d’un réel abus de procédure ce qui sera souvent extrêmement difficile.

 

Une extension de l’état de frais et honoraires ?

 

Un jugement inédit qui m’a aimablement été communiqué par Monsieur l’expert Stricklesse ouvre une nouvelle piste intéressante.

 

Astucieusement, dans le cadre de la procédure en contestation d’honoraires, cet expert avait inclus dans son état ses prestations complémentaires pour le temps et les frais découlant de sa comparution en chambre du conseil.

 

Le tribunal de 1ère Instance de Bruxelles, dans un jugement du 23 mai 2012, dit pour droit que “les comparutions de l’expert en chambre du conseil sont inhérentes à sa mission” et taxa donc l’état de frais en ce compris ces dites prestations.

 

A suivre ce raisonnement, rien n’interdirait, à mon sens, d’y inclure également les frais et honoraires de son conseil dans la mesure où selon l’article 990 du CJ, l’état comprend également “les montants payés à des tiers” en relation avec la mission de l’expert.

 

Il sera peut-être objecté que selon l’article 978 du Code judiciaire, l’expert a déposé un rapport final auquel il a joint un état de frais et honoraires détaillé et que c’est cet état qui ferait l’objet de la procédure de taxation.

 

Le Code judiciaire ne prévoit pas que cet état de frais serait immuable.

 

Tout au contraire, l’article 985 du Code Judiciaire prévoit que lorsque le juge entend l’expert à l’audience, le juge taxe immédiatement les frais et honoraires de l’expert au bas du procès-verbal.

 

La possibilité est donc expressément laissée ouverte au tribunal d’accorder à l’expert des frais et honoraires qui n’étaient pas inclus dans l’état final.

 

Rappelons que la loi du 21 avril 2007 a consacré le principe de l’égalité des  armes, composantes du  droit à un procès équitable garanti par l’article 6  de la Convention européenne des  droits de l’homme.

 

Or, l’expert apparaît comme demandeur dans l’instance en taxation (O. Mignolet, L’expertise judiciaire, op. cit., p. 163, no 146.) même s’il n’est pas, au sens du Code judiciaire, une partie au procès.

 

Monsieur Mignolet, lors d’une conférence à l’AJA (Association des Juristes de l’Assurance) énonçait, néanmoins qu’il considérait que le débat portant sur la taxation d’honoraires devait être considéré, lorsqu’il y avait réellement contestation, comme une instance à laquelle l’expert était partie, ce qui lui ouvrait le droit à une Indemnité de Procédure.

 

En l’état de la jurisprudence, c’est exclusivement pour une raison “formelle” que l’expert se trouve privé de l’indemnisation forfaitaire que représente l’Indemnité de procédure.

 

Lui interdire alors d’inclure dans son état final le montant des débours (en ce compris ses frais de défense et de comparution dans le cadre de la procédure en taxation) qu’il a du supporter, dans le cadre de sa mission, serait lourdement discriminatoire et mériterait, si la solution ici préconisée n’était pas retenue, une question préjudicielle.

 

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