Radar à Cheratte : recours de ceux qui ont payé ?

En juin 2012 une berme centrale a été construite lors du dernier chantier autoroutier sur la E40 à Cheratte, entre Battice et Liège.

Selon la presse  “depuis la fin du chantier en juin 2012, il continue à flasher et dès lors, les conducteurs en infraction continuent de recevoir les PV et pour la majorité d’entre eux, de les payer, ignorant qu’ils sont invalides. Pour ceux-là, il est malheureusement trop tard pour les contester.” Est- ce exact ? Nous ne le pensons pas

Qu’en est-il du justiciable qui aurait transigé sur base d’une information dont il serait ultérieurement avéré qu’elle est inexact ?

Dans l’affaire DEWEER c. BELGIQUE, la Cour européenne des Droits de l’Homme a eu l’occasion de trancher un cas qui peut nous éclairer.

Un boucher de Louvain s’était vu dressé PV pour une infraction à l’arrêté ministériel du 9 août 1974 “déterminant le prix de vente au consommateur des viandes bovines et porcines” et le Procureur du Roi ordonna la fermeture provisoire de la boucherie.

La fermeture devait prendre fin soit le lendemain du versement d’une somme de 10.000 FB à titre de règlement amiable (minnelijke schikking), soit au plus tard le jour où il aurait été statué sur l’infraction.

Le boucher écrivit :

“Veuillez noter que je paie aujourd’hui le montant proposé par votre lettre du 30 septembre 1974 à titre de règlement amiable; partant, l’action publique se trouve définitivement éteinte (article 11 § 1 de la loi du 22 janvier 1945) et il est renoncé à la fermeture de mon établissement.

Veuillez cependant noter que je réserve tous mes droits contre l’État belge devant le tribunal civil, en particulier quant à la restitution de cette somme augmentée d’une indemnité”

À la suite du paiement, effectué, Monsieur DEWEER ne vit pas fermer son magasin. Il ne saisit ni le tribunal civil d’une action en répétition de l’indu et en responsabilité, ni le Conseil d’État d’un recours en annulation de l’arrêté du 9 août 1974.

Ultérieurement, des poursuites judiciaires intentées pour méconnaissance de l’arrêté du 9 août 1974 débouchèrent dans nombre de cas sur des acquittements. La plupart des juridictions compétentes motivèrent leur sentence par l’illégalité de cet arrêté.

Dans sa requête à la Commission, l’intéressé contesta la manière dont le procureur du Roi de Louvain lui avait imposé une amende transactionnelle sous la contrainte d’une fermeture provisoire de son établissement et invoquait chacun des trois paragraphes de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3) de la Convention.

Le Gouvernement belge reprocha au requérant de ne pas avoir épuisé les voies de recours internes et, notamment, de ne pas avoir introduit :

  • d’action civile en répétition des sommes versées
  • d’action en dommages-intérêts;
  • de procédure de révision en matière pénale;

Certes, tout justiciable peut renoncer à son droit à un tribunal en matière pénale par le biais d’une transaction ayant pour effet d’éteindre l’action publique mais pourvu qu’il transige en l’absence de contrainte (Cour eur. D.H., arrêt Sodadjiev / Bulgarie du 5 octobre 2006 rendu à l’unanimité, paragraphe 29.)

En ce qui concerne la procédure en révision, la Cour énonça “Quant à la procédure de révision en matière pénale, il y a lieu de s’interroger avec les délégués sur le point de savoir si elle entre en ligne de compte aux fins de l’article 26 (art. 26). En tout cas, les articles 443 et suivants du code d’instruction criminelle, siège de la matière, concernent uniquement une condamnation passée en force de chose jugée, du moins si on les prend à la lettre. Le Gouvernement le signale lui-même, mais il lui “semble possible” de les invoquer “par analogie” dans le cas d’une “amende transactionnelle”; il ajoute cependant qu’à sa connaissance nul ne s’y est essayé jusqu’ici.”

L’Etat fut condamné à restituer les sommes payées par le boucher.

Quelles sont donc les pistes ouvertes ?

L’action pénale ayant été éteinte par une transaction, et ne s’étant pas clôturée par une condamnation coulée en force de chose jugée, la procédure en révision n’est pas possible pour les automobilistes ayant accepté une transaction.

Ceux qui auront été condamnés ne pourront davantage s’engager dans cette voie, les procédures en révision n’étant ouverte qu’en matière criminelle ou correctionnelle.

Reste la procédure en répétition de l’indu ou celle en dommages-intérêts.

La répétition de l’indu ne suppose que deux conditions, d’une part, un payement, d’autre part, le caractère indu de celui-ci; que l’indu est établi dès que le payement apparaît dépourvu de cause.

Effectue, à mon sens, un paiement indu ouvrant un droit à répétition au sens des articles 1376 et 1377 du Code civil, le conducteur qui accepte une transaction dans l’ignorance des circonstances particulières ayant donné lieu aux poursuites judiciaires dont il fait l’objet.

La transaction répressive n’est pas une transaction civile dès lors qu’il n’y a pas à proprement parler de « concessions réciproques » caractéristiques de ce type de transaction; le fait pour une personne de payer la transaction ne constitue pas un accord dans le but de former un contrat au sens du droit civil mais atteste simplement que la décision unilatérale du ministère public n’a pu lui être imposée (Manuel de procédure pénale, Michel Franchimont p.98)

Il ne pourrait donc être invoqué que le conducteur en transigeant a pris en compte le risque d’erreur.

Enfin, et pour ne rien omettre, les commentaires peu élogieux à l’adresse de la Sofico, gestionnaire routier wallon ou de l’Etat, pourraient servir d’assise à une action en dommages-intérêts.

En effet, sans la faute qui consiste à avoir laissé en activité un radar autour duquel avait été construite une berme, le conducteur n’aurait pas fait l’objet de poursuite.

Sans doute sera-t-il débattu du lien causal. Est-il certain que l’automobiliste ne roulait pas trop vite ?

Voilà, le présent article ne se veut pas exhaustif. Il est l’expression du refus des certitudes.

Trop souvent il est considéré que rien ne peut être plaidé alors qu’il vaut la peine de chercher.

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