Le droit est une matière complexe dans laquelle le citoyen a souvent du mal à s’y retrouver. À côté des lois, Arrêtés royaux, décrets, directives européennes…le citoyen doit encore tirer les enseignements des décisions de la Cour Constitutionnelle. L’adage « Nul n’est censé ignorer la loi » est plus que jamais une fiction. Un arrêt de la Cour de Cassation du 1.6.2012 commenté dans la dernière livraison du JT par Messieurs Renders et Trybulowski permet une réflexion sur le devoir d’information de l’État et son éventuelle responsabilité.

Par un arrêt du 9 décembre 1998, la Cour constitutionnelle avait considéré que lorsque l’indemnité versée représentait la compensation d’une incapacité de travail et non celle d’une perte de revenus, la taxation sous des régimes différents d’une victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle d’une part ou d’un accident de droit commun d’autre part était inconstitutionnelle.

Sur base de l’article 376, § 1er, du C.I.R. 1992, les contribuables qui avaient subi cette discrimination pouvaient introduire une demande de dégrèvement.

Une telle demande avait été introduite, mais hors délai, par la victime d’un accident de travail. Compte tenu de ce retard, la demande avait été déclarée irrecevable par l’administration.

La responsabilité de l’État fut mise en cause et reconnue par la cour d’appel de Mons qui considéra que l’administration était tenue à un devoir d’information aux motifs que :

« l’État belge était soumis comme les particuliers aux règles du droit commun de la responsabilité civile conformément aux articles 1382 et suivant du Code civil.

« La faute peut consister en un acte ou une abstention qui viole une obligation légale qui impose d’agir ou de s’abstenir d’agir de manière déterminée »

« Il peut également y avoir faute si la puissance publique a manqué à son devoir général de prudence en dehors de toute violation de la loi ou des règlements »

« Il s’agit d’apprécier la faute de l’autorité administrative dans le cadre général de son activité sur la base du critère de la personne normalement soigneuse et prudente placée dans les mêmes circonstances (M. Eloy, Annales de droit de Liège, 1986, p. 546) ».

«L’on peut admettre qu’au lendemain du prononcé de l’arrêt de la Cour d’arbitrage [le demandeur] n’ait pas été en mesure concrètement d’avertir chaque contribuable concerné, ce qui impliquait un examen au cas par cas des conditions d’une éventuelle exonération »

« Il reste cependant que, n’ayant pas procédé au dégrèvement d’office des cotisations litigieuses, [le demandeur] ne s’est pas préoccupé du sort des contribuables qui, ayant subi une surtaxe, pouvaient invoquer le dégrèvement d’office conformément à l’article 376 du Code des impôts sur les revenus 1992. »

« [Le demandeur] n’a pris aucune disposition pour lancer une information générale ou pris une quelconque mesure — tel l’envoi d’une notice explicative annexée à la déclaration fiscale ou une annonce par voie de presse — qui aurait permis aux personnes concernées d’exercer leur recours alors qu’il ne pouvait ignorer qu’un certain nombre de contribuables avaient été taxés illégalement et qu’il reconnaît que l’arrêt de la Cour d’arbitrage rendu sur une question préjudicielle constitue un fait nouveau probant au sens de l’article 376 du Code des impôts sur le revenu 1992 »

« Une démarche positive était envisageable, comme le démontre l’initiative relative au livre publié par le ministère des Finances informant les contribuables du nouveau régime fiscal de taxation des indemnités pour incapacité permanente causée par un accident du travail ou une maladie professionnelle édité en 2000, soit trop tard pour les [défendeurs], dont le délai pour introduire une demande de dégrèvement expirait le 31 décembre 1999 »

« Le manque de diligence de l’État belge constitue une faute au sens de l’article 1382 du Code civil sans laquelle le dommage invoqué par les défendeurs ne se serait pas produit. »

« Aucune faute ne saurait être reprochée aux [défendeurs] pour n’avoir pas introduit un recours administratif dans les délais dès lors qu’il n’est pas établi que ces derniers auraient eu connaissance en temps utile de l’arrêt de la Cour d’arbitrage du 9 décembre 1998, lequel constituait le fait nouveau sur la base duquel ils auraient pu signaler une surtaxe et ainsi obtenir un dégrèvement »,

« À défaut d’annulation ou de dégrèvement de l’imposition litigieuse, c’est de manière pertinente que le premier juge a estimé que le préjudice subi par les [défendeurs] sera adéquatement réparé par l’octroi de dommages et intérêts correspondant au montant du dégrèvement qu’ils étaient en droit d’obtenir à la suite de l’arrêt 132/98 de la Cour d’arbitrage du 9 décembre 1998 jusqu’à concurrence de la taxation indûment pratiquée sur les rentes perçues par [le défendeur] en 1996 en réparation d’une incapacité permanente à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle sans qu’il y ait perte de revenus dans le chef de la victime, majorés des intérêts compensatoires puis judiciaires aux taux légaux successifs à dater de la perception »

En conséquence, faisant application de l’article 1382 du Code civil, l’État belge est condamné à verser aux [défendeurs], à titre de dommages et intérêts, le montant de la taxation pratiquée sur la rente perçue par les contribuables en réparation d’une incapacité permanente à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle».

Un pourvoi en cassation sera introduit par l’État qui rejeta celui-ci aux motifs que :

« Il résulte de l’article 114 de la loi du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle que les arrêts rendus sur recours en annulation et sur les questions préjudicielles sont publiés dans leur intégralité ou par extraits au Moniteur belge par les soins du greffier, cette Cour en assurant également la publication dans un recueil officiel et la communication en copie aux juridictions qui lui en font la demande.

Selon l’article 2, 4o, de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration, tout document par lequel une décision ou un acte administratif à portée individuelle émanant d’une autorité administrative fédérale est notifié à un administré indique les voies éventuelles de recours, les instances compétentes pour en connaître ainsi que les formes et délais à respecter, faute de quoi le délai de prescription pour introduire le recours ne prend pas cours.

Ces dispositions, en tant qu’elles prescrivent des mesures particulières de publicité, ne limitent pas les obligations incombant au demandeur en application des articles 1382 et 1383 du Code civil. »

En droit belge, il n’existe aucun texte imposant à l’Etat un devoir général d’information. Certains textes, dont la charte de l’assuré social ou l’obligation, lors de notification de tout acte administratif individuel de mentionner les voies éventuelles de recours ouvertes à l’encontre de cet acte.

L’arrêt commenté ouvre néanmoins une porte raisonnable au citoyen confronté à la pléthore de texte juridique.

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