A de nombreuses reprises, nous avons sur ce site commenté les décisions prononcées au regard de l’article 19bis-11, §2, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs. Un nouvel arrêt de la Cour Constitutionnelle vient d’être prononcé ce 24.9.2015 qui aborde notamment le risque de fraude ou de collusion entre parties.

Les trois affaires ayant conduit à cette nouvelle question préjudicielle concernaient des faits similaires. Dans chaque affaire, un accident de roulage s’est produit, impliquant deux véhicules, sans que le juge puisse déterminer quel véhicule a causé l’accident.

Chaque fois, un des conducteurs concernés a, en vertu de l’article 19bis-11, § 2 demandé l’indemnisation de la moitié de son dommage à l’assureur de l’

autre conducteur.

Il est demandé à la Cour si l’article 19bis-11, § 2, précité est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il :

  1. prévoit la réparation des dommages matériels et des dommages résultant de lésions corporelles des victimes concernées, ce qui implique que le législateur traite cette catégorie de victimes de manière plus favorable que les victimes visées à l’article 19bis-11, § 1er, 7°, de la même loi (première branche de la question préjudicielle dans l’affaire n° 5932);
  2. prévoit la réparation des dommages des conducteurs d’un véhicule automoteur, ce qui implique que le législateur traite cette catégorie d’usagers de la route de manière plus favorable que les autres usagers de la route, comme les cyclistes (deuxième branche de la question préjudicielle dans l’affaire n° 5932 et deuxième question préjudicielle dans l’affaire n° 5958);
  3. a pour conséquence qu’en cas d’accident, les parties concernées qui font sciemment des déclarations insuffisantes, incomplètes, imprécises ou inexactes sont traitées de manière plus favorable que les parties impliquées dans un accident qui font des déclarations suffisantes, complètes, claires et correctes (question préjudicielle dans l’affaire n° 5957 et première question préjudicielle dans l’affaire n° 5958)

En ce qui concerne la 1ère question, la Cour Constitutionnelle reprend l’argumentation qu’elle avait déjà antérieurement développée, savoir que :

Les deux catégories de personnes visées par l’article 19bis-11, § 1er, 7°, d’une part, et par l’article 19bis-11, § 2, d’autre part, se trouvent dans une situation objectivement différente. La première catégorie est victime d’un accident de roulage dont l’auteur est inconnu et, partant, également son assureur; dans ce cas, l’intervention du Fonds, substitué à la personne responsable, est en principe limitée à la seule réparation des dommages résultant des lésions corporelles; en revanche, la seconde catégorie est victime d’un accident de roulage impliquant plusieurs véhicules dont les auteurs sont connus et, partant, également leurs assureurs, mais dont il est impossible de déterminer la part de responsabilité respective dans l’accident; dans ce cas, l’intervention du Fonds n’est pas requise.

Toutefois, les assureurs ne sont pas confrontés aux limitations budgétaires qui justifient que le Fonds commun de garantie indemnise uniquement les dommages résultant des lésions corporelles. Pour ces assureurs, le risque financier qui résulte du dommage qui découle d’un accident pour lequel il n’est pas possible d’établir quel véhicule a causé l’accident ne diffère pas fondamentalement du risque financier du dommage qui découle d’un accident pour lequel il est possible d’établir quel véhicule a causé l’accident. Dans les deux cas, il s’agit d’un risque qui doit être couvert par les primes d’assurance. Il est dès lors justifié que ces assureurs soient tenus d’indemniser le dommage matériel subi par la personne lésée.

En ce qui concerne la deuxième question savoir le traitement différentiel des cyclistes, la Cour Constitutionnelle considère que :

L’article en cause implique que les personnes lésées par un accident de roulage sont traitées différemment en fonction de la nature du véhicule au moyen duquel l’accident a été causé. Pour les véhicules automoteurs, au sens de la loi du 21 novembre 1989, l’assurance est obligatoire. Pour les bicyclettes, l’assurance n’est pas obligatoire; l’assurance de la responsabilité familiale, qui couvre le dommage causé par l’utilisation d’une bicyclette, est une assurance non obligatoire..

Le législateur a pu estimer que le caractère obligatoire de l’assurance était justifié au regard du risque particulier de lésions corporelles découlant de la présence de véhicules automoteurs dans la circulation, risque qui est moindre en cas de présence de bicyclettes dans la circulation (voy. l’arrêt n° 167/2004 du 28 octobre 2004, B.4.2).

Il est inhérent au caractère facultatif d’une assurance que la personne lésée ne pourra pas toujours s’adresser à un assureur; en effet, cela n’est possible que si la personne responsable du dommage a souscrit une assurance. En revanche, il découle du caractère obligatoire d’une assurance que la personne lésée a, en principe, la possibilité de s’adresser à un assureur.

La circonstance que la personne lésée ne pourra, le cas échéant, pas s’adresser à un assureur ne l’empêche par ailleurs pas de s’adresser à la personne responsable du dommage pour en obtenir réparation.

La question posée en sa troisième branche concernait les déclarations insuffisantes, incomplètes, imprécises ou inexactes. La Cour Constitutionnelle ne fait également pas droit à ce moyen :

La question préjudicielle dans l’affaire n° 5957 et la première question préjudicielle dans l’affaire n° 5958 découlent de la préoccupation des juges a quo quant au risque de fraude lié à la disposition en cause, telle qu’elle est interprétée par la jurisprudence. En effet, elle pourrait inciter les parties concernées à occulter ou à présenter différemment le déroulement d’un accident afin de partager l’indemnisation prévue par la disposition.

La portée de la disposition en cause ne peut être dissociée du contexte de son élaboration ni de son interprétation.

Après un rappel de sa jurisprudence antérieure, la Cour Constitutionnelle énonce de manière pertinente que le législateur a, par la disposition en cause, poursuivi un but légitime, consistant à garantir la réparation du dommage subi par la personne lésée.

Cette disposition n’est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution au seul motif que les parties impliquées dans un accident pourraient la détourner sciemment de sa finalité en faisant des déclarations insuffisantes, incomplètes, imprécises ou inexactes.

Certes, il peut être attendu de la part du législateur qu’il vise à empêcher et punisse les comportements frauduleux, mais une disposition législative qui est en soi justifiée ne devient pas discriminatoire du seul fait qu’elle pourrait avoir pour conséquence, en raison d’un risque inhérent de collusion, que les personnes qui respectent son prescrit seraient lésées par rapport aux personnes qui l’enfreindraient.

Il appartient aux juges a quo, en cas de constat de fraude et de collusion, d’y attacher les conséquences adéquates. Le principe fraus omnia corrumpit s’oppose en effet à ce que la fraude procure un avantage à son auteur.

Il peut être déduit de cet arrêt que le principe demeure l’indemnisation lorsqu’il n’est pas possible de départager les responsabilités, sauf aux assureurs à démontrer l’existence d’une fraude ou d’une collusion entre mes parties impliquées.

Pas de commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *