Dans une procédure au fond, des individus étaient accusés d’atteintes à l’environnement. Une ASBL s’était constituée partie civile et réclamait le paiement d’une somme de 1 900 euros à titre d’indemnité pour le préjudice matériel et moral. Le juge a quo avait précédemment estimé, dans plusieurs jugements, que faute d’un cadre légal spécifique, la partie civile ne pouvait se voir attribuer qu’un dommage moral symbolique d’un euro. Selon la partie civile, cette jurisprudence n’est pas conforme à la Constitution et la question a, dès lors, été posée à la Cour Constitutionnelle qui tranche dans son arrêt du 21.1.2016.

Selon le Conseil des ministres : le dédommagement moral accordé à une association sans but lucratif ne doit être limité à un euro maximum, ni en vertu de l’article 1382 du Code civil, ni en vertu d’aucune autre disposition.

L’ASBL estime qu’en vertu de l’article 1382 du Code civil, toute personne qui cause un dommage par sa faute est tenue de le réparer. Le dommage peut consister en un dommage matériel et un dommage moral.

Le dommage moral est forcément fixé en équité. Bien qu’une personne morale ne puisse subir une douleur physique ou psychique, la jurisprudence et la doctrine acceptent généralement qu’une personne morale puisse effectivement subir un dommage moral par suite de l’atteinte portée à d’autres intérêts immatériels.

Une jurisprudence abondante admet tout autant qu’un dédommagement moral puisse être accordé à une association empêchée de poursuivre son objet statutaire.

La réparation symbolique d’un euro est difficilement conciliable avec le droit subjectif à réparation inscrit à l’article 1382 du Code civil et avec la protection du droit à la propriété.

Le fait que l’association sans but lucratif se consacre à des éléments de l’environnement qui n’appartiennent en propre à personne ne constitue pas une raison pour la priver d’une réparation intégrale. La simple circonstance que d’autres personnes, ou même tout un chacun, puissent subir un préjudice du fait de l’atteinte portée aux biens juridiques dont l’association sans but lucratif poursuit la protection n’y change rien.

La Cour tient le raisonnement suivant :

L’affaire concerne une personne morale qui s’est fixée pour objet la protection de l’environnement ou de certains éléments de celui-ci et qui s’est constituée partie civile devant le juge pénal pour réclamer réparation en raison de l’atteinte portée à l’intérêt collectif – c’est-à-dire en vue de la sauvegarde de l’objet statutaire – pour lequel elle a été constituée parce qu’un dommage a été causé à des espèces d’oiseaux vivant à l’état sauvage, c’est-à-dire à des éléments de l’environnement qui n’appartiennent à personne. La Cour limite son examen à cette hypothèse.

L’article 3 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale dispose :

« L’action pour la réparation du dommage causé par une infraction appartient à ceux qui ont souffert de ce dommage ».

La Cour de cassation a jugé que lorsqu’une action en réparation d’un dommage causé par une infraction est introduite par une personne morale qui, en vertu de ses statuts, a pour objectif la protection de l’environnement et vise à contester les agissements et les négligences de personnes privées et instances publiques jugés contraires aux dispositions du droit de l’environnement national, cette personne morale satisfait à cette condition de recevabilité relative à l’intérêt pour introduire une action en justice (Cass., 11 juin 2013, Pas., 2013, n° 361).

Le juge évalue in concreto le préjudice causé par un fait illicite. Il peut recourir à une évaluation en équité du dommage, à la condition qu’il indique les motifs pour lesquels il ne peut admettre le mode de calcul proposé par la victime et qu’il constate en outre l’impossibilité de déterminer autrement le dommage (Cass., 17 février 2012, Pas., 2012, n° 119).

En vertu de l’article 3 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, l’exercice de l’action civile devant les juridictions pénales tend à la réparation du dommage privé causé par une infraction et n’appartient dès lors qu’à celui qui a été directement lésé par cette infraction dont il a souffert dans sa personne, dans ses biens ou dans son honneur (Cass., 20 octobre 2010, Pas., 2010, n° 613). En principe, une constitution de partie civile pour un dommage subi par des tiers est exclue.

Bien que chaque citoyen ait, tout comme une personne morale ayant pour objet la protection de l’environnement, un intérêt à la conservation de la nature, en l’espèce la conservation de la population d’oiseaux sauvages, il existe entre le citoyen et une telle association une différence essentielle lorsqu’il s’agit d’introduire une action civile en réparation d’un dommage occasionné à des éléments de l’environnement qui n’appartiennent en propre à personne.

Étant donné que de tels éléments de l’environnement n’appartiennent à personne, le citoyen ordinaire n’aura en principe aucun intérêt direct et personnel à intenter une action en réparation pour la lésion de cet intérêt. En revanche, une personne morale qui a été constituée en ayant pour objet spécifique de protéger l’environnement peut, comme il est indiqué en B.4, effectivement subir un dommage moral et intenter une telle action.

L’évaluation de dommages-intérêts en équité signifie que ceux-ci doivent être adaptés le mieux possible à la réalité concrète, même lorsqu’il s’agit d’un dommage moral. A cet égard, la situation d’une personne morale ne diffère pas de celle d’une personne physique qui subit un préjudice moral, lequel ne peut pas non plus être constaté avec une précision mathématique. Le juge ne peut pas se contenter d’indiquer qu’il s’agit d’un préjudice moral et qu’il évalue dès lors le dommage ex aequo et bono; il doit motiver l’impossibilité d’évaluer le dommage autrement (Cass., 22 avril 2009, Pas., 2009, n° 268).

Bien qu’il ne soit pas possible d’évaluer exactement le dommage subi dans le cas d’une atteinte portée à des éléments de l’environnement qui n’appartiennent à personne et bien que le dommage moral de la personne morale ne coïncide pas avec le dommage écologique réel, il n’est pas impossible pour le juge d’évaluer concrètement le dommage moral subi par l’association de défense de l’environnement. Ainsi, il peut notamment tenir compte des objectifs statutaires de l’association, de l’importance de ses activités et des efforts qu’elle fournit pour réaliser ses objectifs. En outre, il peut également prendre en considération la gravité de l’atteinte à l’environnement pour évaluer le dédommagement moral à accorder à l’association.

Certes, après avoir examiné concrètement le dommage, le juge peut estimer, dans un cas déterminé, qu’un dédommagement moral d’un euro suffit, mais en interprétant l’article 1382 du Code civil en ce sens qu’il s’oppose de façon générale à l’octroi d’un dommage supérieur à un euro lorsqu’il est porté atteinte à l’intérêt moral d’une personne morale en raison de l’atteinte portée à son objet collectif, il est fait exception aux principes de l’évaluation concrète et de la réparation intégrale qui sont contenus dans cette disposition, sans qu’existe pour ce faire une justification objective et raisonnable.

Par conséquent, l’article 1382 du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution dans l’interprétation selon laquelle il s’oppose à ce qu’une personne morale qui a été constituée et qui agit en vue de défendre un intérêt collectif, comme la protection de l’environnement ou de certains des éléments de celui-ci, reçoive, pour l’atteinte à l’intérêt collectif pour lequel elle a été constituée, un dédommagement moral qui dépasse le dédommagement symbolique d’un euro.

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