Par testament authentique une dame T avait été désignée comme unique légataire universelle. Le défunt avait auparavant conclu plusieurs contrats d’assurance-vie selon lesquels les prestations d’assurance reviennent, en cas de décès, aux « héritiers légaux de l’assuré ». Les assureurs ont refusé de verser les prestations d’assurance à la légataire universelle du fait qu’elle n’est pas l’héritière légale. La dame T a cité les assureurs et plaider la nullité des clauses bénéficiaires ou à tout le moins leur révocation tacite par testament puisque le défunt, de son vivant, n’avait plus de contact avec sa famille et qu’aucun héritier légal ne s’était encore présenté. La Cour Constitutionnelle a été saisie et s’est prononcée le 3 mars dernier.

Le Tribunal constate que lorsque, dans un contrat d’assurance-vie, les héritiers légaux sont désignés comme bénéficiaires, sans indication de leurs noms, les prestations d’assurance, en vertu de l’article 110/1 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre, sont en principe dues à la succession de l’assuré, ce qui impliquerait en l’espèce que les prestations contestées sont dues à la Dame T.

Le Tribunal constate ensuite que pour les contrats en cause ont été conclus avant le 5.3.2012 (introduisant cette disposition) le preneur d’assurance, à l’initiative de l’assureur, pendant un délai de deux ans à partir de l’entrée en vigueur de la loi, avait la possibilité de déclarer expressément qu’il renonçait à l’application de l’article 110/1 de la loi du 25 juin 1992 et, à défaut, y était soumis.

Le Tribunal estime que l’article 110/1 de la loi du 25 juin 1992 n’est, en vertu du régime transitoire précité, pas applicable en l’espèce, étant donné que le défunt est décédé avant l’expiration du délai de deux ans après l’entrée en vigueur de la loi du 13 janvier 2012 et se demande toutefois cela est compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination .

La Cour Constitutionnelle rappelle que les travaux préparatoires mentionnent :

« La présente proposition de loi vise à résoudre les nombreux litiges provoqués par la conjonction de deux facteurs : des dispositions légales inadaptées, d’une part, et des pratiques inadaptées qui sont monnaie courante dans le secteur des assurances, d’autre part.

L’article 107 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre prévoit en matière d’assurance-vie que lorsque l’assurance ne comporte pas de désignation de bénéficiaire ou de désignation de bénéficiaire qui puisse produire effet, ou lorsque la désignation du bénéficiaire a été révoquée, les prestations d’assurance sont dues au preneur d’assurance ou à la succession de celui-ci.

Cette disposition pose de nombreux problèmes d’ordre pratique du fait que les compagnies d’assurances utilisent une formule standard qui stipule que les bénéficiaires sont les ‘ héritiers légaux ‘. C’est notamment le cas lorsque seuls des parents éloignés sont appelés à la succession comme héritiers et que le testateur a rédigé un testament au profit d’un tiers.
(…)
Pour respecter cette réalité et la volonté du testateur, il est proposé de modifier [la loi] de manière que, si aucun conjoint et/ou enfant n’est appelé à la succession, le bénéfice de l’assurance soit alloué à l’héritier testamentaire (éventuel) plutôt qu’aux héritiers légaux. Lorsque plusieurs personnes sont avantagées par voie testamentaire, la prime d’assurance est attribuée au prorata de l’émolument successoral de chacune d’elles » (Doc. parl., Sénat, 2010-2011, n° 5-310/1, pp. 3-4).

L’article 110/1 de la loi du 25 juin 1992 entend donc « respecter […] la volonté du testateur ».

Les dispositions transitoires permettant au preneur de renoncer à cette disposition nouvelle dans un délai de deux ans à partir du 5.3.2002 ne peut s’appliquer lorsque le preneur d’assurance d’un contrat d’assurance-vie conclu avant le 5 mars 2012 décède au cours du délai précité de deux ans.

Le propre d’une règle transitoire est d’établir une distinction entre les personnes qui sont concernées par des situations juridiques qui entrent dans le champ d’application de cette règle et les personnes qui sont concernées par des situations juridiques qui entrent dans le champ d’application d’une règle nouvelle. Semblable distinction ne viole pas, en soi, les articles 10 et 11 de la Constitution : toute disposition transitoire serait impossible s’il était admis que de telles dispositions violent les dispositions constitutionnelles précitées par cela seul qu’elles s’écartent des conditions d’application de la législation nouvelle

Les mesures transitoires doivent cependant être générales et être fondées sur des critères objectifs et pertinents qui justifient les raisons pour lesquelles certaines personnes bénéficieront, à titre transitoire, de mesures dérogatoires au régime établi par la norme nouvelle.

En ce qui concerne la mesure transitoire contenue dans la disposition en cause, les travaux préparatoires mentionnent :

« Initialement, l’intervenant avait préconisé une application immédiate de la loi aux nombreux contrats d’assurance qui comportent une formule standard désignant les héritiers légaux comme bénéficiaires, alors que le testateur a rédigé un testament au profit d’autres personnes.

Au terme d’une discussion au sujet de cette application immédiate, on a finalement décidé de suivre la proposition de M. […] d’instaurer une période de transition, par analogie avec celle prévue dans la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux […].

La loi serait donc d’application immédiate pour les nouveaux contrats conclus et une période de transition d’un an serait prévue pour les contrats existants. Au cours de cette période de transition, la législation antérieure resterait d’application, ce qui n’exclut pas que le tribunal puisse en décider autrement. Le preneur d’assurance pourrait mettre cette période de transition à profit pour adapter sa police. Au terme de cette période, tous les contrats existants relèveraient à leur tour du champ d’application de la nouvelle loi.”

Il apparaît que le législateur a jugé opportun de ne pas déclarer le nouvel article 110/1 de la loi du 25 juin 1992 immédiatement applicable aux contrats d’assurance-vie conclus avant le 5 mars 2012, parce qu’il en résulterait une « modification d’un élément essentiel du contrat ». En vue de garantir la liberté contractuelle, il a voulu donner aux preneurs d’assurance et aux assureurs le temps nécessaire de faire un choix explicite en ce qui concerne les bénéficiaires, mentionnés dans ces contrats d’assurance-vie, des prestations d’assurance, avant de déclarer le nouvel article 110/1 applicable à ces contrats

La mesure transitoire contenue dans la disposition en cause a un caractère général et repose sur un critère objectif, à savoir l’expiration d’un délai de deux ans après l’entrée en vigueur de la loi du 13 janvier 2012. Ce critère est pertinent à la lumière des objectifs poursuivis par le législateur : garantir la liberté contractuelle et permettre au preneur d’assurance, compte tenu du nouvel article 110/1 de la loi du 25 juin 1992, de faire un choix explicite en ce qui concerne les bénéficiaires des prestations d’assurance, mentionnés dans le contrat d’assurance-vie. Par ailleurs, la disposition en cause ne porte atteinte ni au droit du preneur d’assurance de révoquer la faveur, aux conditions fixées à l’article 112 de la loi du 25 juin 1992, ni à son droit de désigner un nouveau bénéficiaire. Les objectifs poursuivis par le législateur justifient que certaines personnes bénéficient temporairement de mesures qui dérogent à la règle établie par l’article 110/1 de la loi du 25 juin 1992 .

La disposition en cause aboutit cependant à ce que les prestations d’assurance ne puissent être servies par l’assureur à aucun bénéficiaire dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, le preneur d’assurance qui a institué un légataire universel mais dont les héritiers légaux ne sont pas connus, décède au cours de la période de deux ans prévue par cette disposition : en effet, d’une part, le légataire universel ne pourrait pas revendiquer l’application de l’article 110/1 de la loi du 25 juin 1992 puisque le bénéfice de cette disposition est subordonné à l’expiration de la période de deux ans prévue par la disposition en cause et que le décès du preneur d’assurance a empêché que cette condition se réalise; d’autre part, les héritiers légaux auxquels se réfère, comme en l’espèce, la police d’assurance sans les désigner nominativement ne se sont pas fait connaître.

Dans une telle hypothèse, l’article 3, alinéa 3, de la loi du 13 janvier 2012 peut être de nature à porter une atteinte discriminatoire au droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme s’il n’apparaît d’aucun élément – ce qu’il appartient au juge a quo d’examiner – que le preneur d’assurance aurait entendu, avant son décès, renoncer à l’application de l’article 110/1 de la loi du 25 juin 1992. Les dispositions transitoires, privent en effet dans ce cas le preneur d’assurance du droit de disposer de ses biens en faveur du légataire universel qu’il a institué et le légataire universel de celui de recueillir des biens sur la propriété desquels le testament lui permettrait de fonder une espérance légitime et raisonnable .

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