Décidément, la Cour Constitutionnelle aura eu à connaître à de nombreuses reprises de l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs. Dans un arrêt du 11 mai 2016, cette haute juridiction s’est penchée sur la problématique de la répartition de la charge du sinistre dans l’hypothèse de l’existence d’ assureurs non connus de véhicules non identifiés.

Le 3 février 2011, A.-S. G. a été impliquée dans un accident de la circulation. Il est certain que trois véhicules ont été impliqués dans cet accident, conduits respectivement par M. V.R., A.-S. G. et M. D.P. Il est également question d’un quatrième véhicule, à savoir un camion, dont le conducteur a quitté les lieux de l’accident et est resté inconnu.

Successivement, les juridictions appelées à connaître de la cause estiment que quatre véhicules, dont le camion non identifié, ont été impliqués dans l’accident, qu’il n’est pas possible d’établir quel véhicule a causé l’accident et que la responsabilité de deux conducteurs, à savoir A.-S. G. et M. D.P., n’est indubitablement pas engagée.

Sur la base de ces éléments, il est décidé que les conditions d’application de l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs (ci-après : « la loi RC-automobile ») étaient remplies.

Deux conducteurs (A.-S. G. et M. D.P.) étant mis hors cause, restaient l’assureur de M. V.R (AXA) et l’assureur non identifié du camion non identifié.

Le 1er juge condamne la SA « AXA Belgium », assureur du véhicule conduit par M. V.R., à payer une indemnité mais la limite à 50% en considérant que le texte de la disposition législative précitée est clair et ne permet aucune interprétation, que cette disposition ne prévoit pas de responsabilité solidaire et qu’en vertu de l’adage lex specialis derogat generalibus, l’assureur du véhicule conduit par M. V.R. ne peut donc être tenu qu’au paiement de la moitié du préjudice subi par A.-S. G.

Ne recevant que la moitié de son préjudice, A.-S. G. interjette appel

Le juge d’appel estime que l’appelante demande à juste titre si l’interprétation de l’article 19bis-11, § 2, adoptée par le premier juge, ne fait pas naître une nouvelle discrimination entre les victimes d’un accident selon que les véhicules impliqués dans l’accident sont identifiés ou non.

La Cour Constitutionnelle se voit donc saisie de la question de savoir si l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle la répartition « par parts égales » de l’indemnisation entre les assureurs couvrant la responsabilité civile est opposable aux conducteurs ou propriétaires d’un véhicule qui ont subi un dommage dans le cas d’un accident impliquant plusieurs véhicules, mais dont il est impossible de déterminer quel véhicule l’a causé.

Dans cette interprétation, une différence de traitement serait instaurée entre, d’une part, les conducteurs ou propriétaires d’un véhicule qui ont subi un dommage dans le cadre d’un tel accident dans lequel tous les véhicules impliqués ont été identifiés et, d’autre part, les conducteurs ou propriétaires d’un véhicule qui ont subi un dommage dans le cadre d’un tel accident dans lequel un ou plusieurs des véhicules impliqués n’ont pas été identifiés, alors que l’on ne saurait affirmer que la responsabilité de ces derniers n’est indubitablement pas engagée. Dans le premier cas, la personne lésée pourrait être intégralement indemnisée alors que dans le second cas, elle ne serait pas indemnisée pour la part de l’assureur du véhicule non identifié.

Il ressort du libellé de la question préjudicielle et de la motivation de la décision de renvoi que le juge a quo établit un lien entre la différence de traitement au sujet de laquelle la Cour est interrogée et la question de savoir si la répartition, par parts égales, entre les assureurs, qui est prévue par cette disposition, est ou non opposable à la personne lésée. Dans l’interprétation au sujet de laquelle le juge a quo interroge la Cour, cette répartition est opposable à la personne lésée et celle-ci doit donc solliciter individuellement chaque assureur impliqué dans la répartition pour qu’il verse sa part de l’indemnisation.

L’opposabilité à la personne lésée de la répartition de l’indemnisation entre les assureurs n’a pas nécessairement une incidence en soi sur le caractère intégral de l’indemnité qu’elle peut recevoir. S’il est vrai que cette circonstance peut revêtir une grande importance pratique dans la mesure où, lorsque cette répartition est opposable à la personne lésée, le fait d’agir contre tous les assureurs concernés peut être particulièrement complexe et chronophage, elle n’a pas nécessairement un effet sur le montant de la réparation, qui doit en principe également être intégrale dans ce cas.

La différence de traitement visée par la question préjudicielle dépend néanmoins également de l’interprétation que le juge a quo donne à un autre élément de l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989.

Dans cette interprétation, la répartition de l’indemnisation par parts égales concerne non seulement les assureurs des véhicules identifiés, mais aussi les assureurs non connus des véhicules non identifiés.

C’est uniquement dans cette interprétation que l’opposabilité ou non de la répartition mutuelle entre les assureurs est déterminante pour la personne lésée pour obtenir une indemnisation intégrale. Pour répondre à la question préjudicielle, la Cour se doit dès lors d’associer aussi à son contrôle l’interprétation indiquée en ci-devant.

Il ressort de l’élaboration du régime d’indemnisation en cause que le législateur vise à protéger la personne lésée lorsque celle-ci ne peut être indemnisée selon les règles de droit commun en matière de responsabilité, ce qui est le cas lorsqu’il est impossible d’établir qui, parmi les conducteurs des véhicules impliqués, a commis la faute à l’origine de l’accident de roulage.

C’est à cette situation que le législateur entend remédier en prévoyant à l’article 19bis-11, § 2, en cause, un régime d’indemnisation automatique de la personne lésée à charge des assureurs des conducteurs des véhicules impliqués; ce régime d’indemnisation se distingue d’un régime fondé sur la responsabilité et sur les assurances en matière de responsabilité.

Selon le juge a quo, lors de la répartition de l’indemnisation entre les assureurs au sens de l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989, les assureurs non connus de véhicules non identifiés entrent également en ligne de compte, lorsqu’il ne peut être affirmé que leur responsabilité n’est indubitablement pas engagée.

Dans l’interprétation selon laquelle cette répartition entre les assureurs est opposable à la personne lésée, il existe une différence de traitement non raisonnablement justifiée, entre, d’une part, la personne lésée qui ne peut, en pareil cas, être intégralement indemnisée puisqu’il lui est impossible de solliciter un assureur inconnu et, d’autre part, la personne lésée par un accident de roulage ayant impliqué uniquement des véhicules identifiés, laquelle pourra toujours être indemnisée intégralement.

Au regard de l’objectif poursuivi par le législateur, le droit de la victime à une indemnisation intégrale ne peut effectivement pas dépendre du fait qu’un ou plusieurs assureurs non connus de véhicules non identifiés ont également été impliqués dans l’accident, puisque cette situation ne peut en rien être imputée à la personne lésée.

L’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs n’est donc pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle, lors de la répartition de l’indemnisation par parts égales entre les assureurs visés par cette disposition, les assureurs non connus de véhicules non identifiés sont également pris en considération, et selon laquelle cette répartition est opposable à la personne lésée.

La Cour constate néanmoins que la disposition en cause peut également être interprétée différemment. Selon les termes de cette disposition, « l’indemnisation de la personne lésée est répartie, par parts égales, entre les assureurs couvrant la responsabilité civile des conducteurs […], à l’exception de ceux dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée », ce qui suppose que ces assureurs soient connus, puisque la part qui devrait être supportée par un assureur non connu ne sera jamais payée, ce qui ne peut pas avoir été l’intention du législateur.

De plus, il n’apparaît pas qu’en ce qui concerne un véhicule non identifié, le législateur a considéré le Fonds commun de garantie en qualité « d’assureur » au sens de la disposition en cause. Au contraire, le législateur a établi une nette distinction entre, d’une part, l’article 19bis-11, § 1er, de la loi du 21 novembre 1989, qui énumère les cas dans lesquels ce Fonds doit intervenir, parmi lesquels le cas où le véhicule qui a causé l’accident n’est pas identifié, et, d’autre part, l’article 19bis-11, § 2, qui impose une obligation d’indemnisation aux assureurs dans le cas d’un accident dans lequel plusieurs véhicules sont impliqués et où il n’est pas possible de déterminer celui qui a causé l’accident. Par ailleurs, l’importance de l’obligation d’indemnisation est également différente dans les deux situations, dès lors que le Fonds ne doit en principe indemniser que le préjudice corporel alors que les assureurs visés dans le paragraphe 2 sont tenus d’indemniser tant le dommage matériel que le préjudice corporel.

Compte tenu de ce qui précède, la disposition en cause peut être interprétée en ce sens que l’indemnisation de la personne lésée est répartie, par parts égales, entre les assureurs couvrant la responsabilité civile des conducteurs des véhicules impliqués qui ont pu être identifiés, à l’exception de ceux dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée.

Cette décision est intéressante à plus d’un titre dès lors qu’outre la question qu’elle tranche explicitement, elle saisit cette occasion pour énoncer que le FCGA ne doit pas être considéré comme un assureur dans le cadre de l’article 19 11bis.

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