Un arrêt de la Cour d’Appel de Liège du 1.6.2016 illustre la prudence dont le courtier doit faire montre dans sa relation avec son client. Au terme d’un arrêt contestable, la Cour considère que le courtier demeure en défaut de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à son devoir de conseil et partage par moitié les responsabilités des conséquences d’une sous-assurances.

Le preneur poursuivait son courtier d’assurances à la suite d’un sinistre incendie.

Le preneur renait son courtier pour responsable de la sous-évaluation de la valeur de l’immeuble.

Il s’agissait d’un fort ancien contrat souscrit par le père du preneur auprès d’un ancien courtier.

L’actuel courtier produisait un document qui proposait une réévaluation des capitaux. Il affirmait que le preneur l’avait refusé mais ne pouvait en rapporter la preuve.

Un incendie survient dans l’immeuble le 9/2/2008 et, compte tenu d’une sous-assurance et par application de la règle proportionnelle, l’indemnité pour le bâtiment est réduite.

Le preneur . met en cause la responsabilité contractuelle du courtier pour n’avoir pas respecté son obligation d’information et de conseil, tant pour ce qui concerne le contrat d’assurance lui-même (la sous-assurance du bâtiment et ses conséquences) que pour ce qui concerne le règlement du sinistre (l’application de la règle proportionnelle).

La Cour partagera les responsabilités selon la motivation suivante :

L’activité du courtier, intermédiaire d’assurances, s’inscrit dans le cadre d’un contrat d’entreprise. Il se charge de trouver la couverture d’assurance qui convient le mieux au risque que son client souhaite faire couvrir. A côté des informations et des conseils qu’ils dispensent, les intermédiaires d’assurances peuvent être sollicités pour poser certains actes juridiques au nom et pour le compte de leurs clients dans le cadre d’un contrat de mandat (N. Schmitz, « Le droit de la responsabilité : le domaine des assurances », in Droit de la responsabilité. Domaines choisis, CUP, vol. 119, p. 302).

Le courtier d’assurance est tenu d’une obligation d’information et de conseil. L’information et le conseil procèdent de l’essence même de la profession d’intermédiaire d’assurances, dont le preneur d’assurance est le bénéficiaire.

Le devoir d’information se limite à la transmission objective de données administratives concernant le courtier et le contrat. Il porte sur la communication de données ou de faits et concerne les aspects techniques d’un service permettant au client d’en comprendre le mécanisme et la portée pour, sur cette base, orienter et déterminer son choix.

Le devoir de conseil implique une appréciation subjective sur l’opportunité d’une opération. Il consiste en un avis pour orienter une action, voire un dirigisme dans ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire. Conseiller suppose l’incitation à agir dans un sens déterminé (J.P. Buyle, « Les obligations d’information, de renseignement, de mise en garde et de conseil des professionnels de la finance », in Les obligations d’information, de renseignement, de mise en garde et de conseil, CUP, 2006, pp. 167-168 ; Th. L. Eeman, J.P. Follet, A. Randao Alface, « La responsabilité des courtiers d’assurances et l’assurance de cette responsabilité », Bull. ass., 2012, p. 67).
L’article 12bis de la loi du 22/3/1995, telle que modifiée par la loi du 22/2/2006, impose à l’intermédiaire d’assurances de fournir un certain nombre d’informations à son client, tant avant la conclusion du contrat qu’à l’occasion de sa modification ou de son renouvellement.

Le courtier assume, dans l’exercice de sa mission d’information et de conseil, une obligation de moyens . Il appartient dès lors au bénéficiaire du devoir de conseil et d’information de prouver le manquement reproché au courtier. Souvent, le demandeur sera contraint de rapporter la preuve d’un fait négatif (établir que l’information ou le conseil n’a pas été dispensé). Le juge peut toutefois se contenter, dans cette hypothèse, d’une preuve par vraisemblance (Cass., 16 décembre 2004, J.L.M.B., 2006, p. 1168 et note H. Nys ; N. Schmitz, op. cit., p. 322).

Le preneur affirme qu’il n’a jamais été informé de ce que son bâtiment était sous-assuré.

Le courtier soutient que le preneur . a refusé la majoration des capitaux proposée le 7/5/1993.

Le preneur énonce que les mentions manuscrites figurant sur les différents contrats produits par le courtier ne lui sont pas opposables dès lors qu’elles ne sont pas contresignées par les parties.

Il s’agit en effet de notes prises ultérieurement par le courtier. Ainsi, la note « majoration des capitaux refusé par le client » mentionnée sur la proposition du 7/5/1993 n’est pas contradictoire et ne lie pas le preneur.

Elle est insuffisante à démontrer que le preneur a refusé d’augmenter le montant assuré pour son bâtiment, dont il n’a du reste fait l’acquisition que postérieurement, l’acte authentique datant du 26/5/1993.

L’article 54 de la loi du 25/6/1992 sur les assurances terrestres dispose que le montant à assurer est fixé par le preneur d’assurance.
Le preneur fait grief à son courtier de ne pas l’avoir aidé à évaluer correctement le montant à assurer pour son bâtiment, de ne s’être jamais rendu sur place pour se rendre compte de la situation particulière des lieux (boulangerie et habitation privée) et de ne l’avoir jamais informé des conséquences d’une sous-assurance du bâtiment.

Ce n’est que par lettre du 1/8/2012 que son courtier lui a écrit : « Afin de revoir l’ensemble de vos contrats, nous vous proposons de passer chez vous le vendredi 10/08/2012 vers 10h30 »

Le preneur . est un commerçant exerçant la profession d’artisan boulanger-pâtissier, il a certes reçu une formation en gestion mais cela n’en fait pas pour autant un spécialiste en assurances, domaine dans lequel il est profane.

Cela ne le dispense toutefois pas de veiller à la gestion de ses biens en bon père de famille, comme le ferait toute personne normalement prudente et avisée placée dans une situation semblable.

Lors de la souscription du contrat en 1984, l’immeuble a été assuré pour 4.700.000 FB

André L. a vendu l’immeuble à son fils (le preneur) pour la somme de 2.000.000 FB le 26/5/1993.

Le 3/6/1993 un avenant au contrat est établi car c’est le preneur . , désormais propriétaire du bien, qui devient le preneur d’assurance incendie.

Le bâtiment est assuré pour 5.992.000 FB, indexés. Cette valeur assurée pouvait, à tout le moins prima face, paraître suffisante au preneur . compte tenu du prix d’acquisition du bien.

Le courtier soutient que le client a refusé à cette époque la majoration des capitaux assurés pour l’immeuble (la proposition du 7/5/1993 mentionne un montant assuré de 9.150.000 FB).

Ce refus n’est pas démontré à suffisance de droit, la mention manuscrite figurant sur la proposition étant unilatérale et non contresignée par les parties.

Le courtier n’est certes pas tenu, lors de la conclusion du contrat, de vérifier la valeur assurée demandée par le client. Mais dès l’instant où le courtier affirme qu’une majoration du montant assuré pour l’immeuble a été proposée au client à l’occasion d’une modification du contrat, c’est qu’il avait connaissance, d’une manière ou d’un autre, d’un problème concernant une éventuelle sous-assurance.

En sa qualité de professionnel de l’assurance, tenu de veiller au travers d’une information appropriée à l’établissement d’un contrat d’assurance efficace qui répond au mieux aux intérêts du client, il est incompréhensible que dans une telle situation, le courtier n’ait pas pris la précaution de donner des informations par écrit au preneur quant à la valeur, le cas échéant, insuffisante des capitaux assurés.

Aucune lettre, courriel ou autre support écrit n’est produit en ce sens. Il ne résulte d’aucune pièce produite aux débats que cette proposition d’assurance a été envoyée à le preneur.

Le courtier devait également attirer l’attention du preneur sur les conséquences de l’application de la règle proportionnelle alors qu’il constate une valeur potentiellement insuffisante des capitaux assurés dont il propose la majoration.

Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, c’est de manière vraisemblable que le preneur démontre que son courtier ne l’a pas correctement informé et conseillé quant à l’insuffisance de la valeur assurée de l’immeuble et quant aux conséquences pouvant en résulter, soit l’application de la règle proportionnelle et la réduction de l’indemnité d’assurance en cas de sinistre (article 44, § 1er, de la loi du 25/6/1992, actuellement article 98 de la loi du 4/4/2014).

Il importe peu que les montants assurés apparaissent clairement sur les différents contrats et avenants dès lors que le courtier n’a pas informé et conseillé le preneur d’assurance comme l’aurait fait un professionnel normalement prudent et avisé qui estime qu’une majoration des capitaux assurés pour le bâtiment peut s’avérer nécessaire, et qui ne prend pas les dispositions utiles pour informer et conseiller son client par écrit à ce sujet.

Le fait qu’une clause d’un contrat d’assurance soit claire quant au montant assuré ne relève pas le courtier de son devoir d’information et de conseil.

A l’instar de tout homme normalement prudent et diligent, le preneur . devait veiller à la gestion de ses biens en bon père de famille.

Après avoir fait l’acquisition de l’immeuble litigieux qui lui servait à des fins commerciales et privées, il devait également s’enquérir auprès de son courtier d’assurances quant à l’adéquation des montants assurés par rapport à la valeur du bien. Même si la valeur assurée pouvait, prima facie, lui paraître suffisante compte tenu du prix d’acquisition du bien, il ne pouvait ignorer qu’il s’agissait d’une vente dans un cadre familial et qu’il était prudent de se renseigner, le cas échéant auprès de son notaire ou d’un expert immobilier, afin de vérifier qu’il était assuré pour une valeur suffisante.

Le preneur pouvait à cet égard poser toutes questions utiles à son courtier.

Il n’apporte ni n’offre de rapporter la preuve qu’il l’a fait.

Le preneur a donc également commis une négligence fautive à l’origine du dommage dont il se plaint car il devait veiller un minimum à la préservation et à la valorisation de ses intérêts, comme le ferait un commerçant avisé et, de manière générale, tout bon père de famille.

Les fautes commises par le courtier, qui a manqué à son devoir d’information et de conseil quant à la sous-assurance du bâtiment assuré et aux conséquences de l’application de la règle proportionnelle en cas de sinistre, et par le preneur qui a négligé de prendre les mesures utiles pour vérifier que l’immeuble était correctement assuré et poser toutes questions adéquates dans ce domaine, ont contribué dans la même proportion à la survenance du dommage, à savoir la réduction de l’indemnité d’assurance par application de la règle proportionnelle, le montant assuré pour le bâtiment étant inférieur à la valeur du bien lorsque l’incendie s’est produit.

Sans les fautes concurrentes commises par le preneur et le courtier, le dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est réalisé in concreto.

Un partage de responsabilités par moitié s’impose donc à cet égard.

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