Nous avons déjà fréquemment publié sur ce site au sujet de l’article 19bis-11, § 2 de la loi du 21 novembre 1989 qui prévoit l’indemnisation par tous les assureur des victimes d’un accident impliquant plusieurs véhicules et ce, lorsqu’il n’est pas possible de déterminer les responsabilités.

Les tribunaux de police de Bruxelles avaient une fâcheuse tendance à restreindre l’application de cette disposition légale.

Il faut donc saluer ce jugement prononcé le 14.3.2017 par la 78ème Chambre du Tribunal de 1ère Instance de Bruxelles.

Les faits utiles à la solution du litige peuvent être résumés comme suit.

Un accident de la circulation est survenu le 7 novembre 2010 à 11h30 dans le tunnel Louise, mettant en cause un véhicule de marque Renault Espace appartenant à et conduit au moment des faits par M. X, assuré auprès de l’assureur , et un véhicule de marque Toyota Picnic, Mme Y, assurée auprès de l’assureur B.

L’accident a fait l’objet d’un dossier répressif classé sans suite

 

Les parties sont contraires en fait et en droit quant aux responsabilités.

Le tribunal rappelle que, lorsqu’une action en justice devant le juge civil est fondée sur une infraction à la loi pénale, il incombe au demandeur à l’action de prouver que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis et, si le défendeur invoque une cause de justification non dépourvue de tout élément de nature à lui donner crédit, que cette cause de justification n’existe pas (Cass., 29 novembre 1974, Pas., 1975, I, p. 348 ; Cass., 4 décembre 1992, Pas., 1992, I, p.1338 ; Cass., 22 décembre 1995, Arr.Cass., Il, p.1195 ; Cass., 30 septembre 2004, J.L.M.B., 2005, p. 1256 ; Cass., 11 juin 2010, Pas., n°1844).

Les causes de justification sont, outre celles prévues par le Code pénal (par exemple articles 70 et 71), toutes les circonstances qui sont de nature à exclure l’infraction imputée à celui qui l’allègue (Cass., 31 octobre 1972, 23 janvier et 13 février 1973, Pas., 1973, I, p. 212, 503 et 559).

ll incombe en outre au demandeur en réparation d’établir l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage tel qu’il s’est réalisé. Ce lien suppose que, sans la faute, le dommage n’eût pu se produire tel qu’il s’est produit (Cass., 19 juin 1998, Pas., 1998, I, p.324 ; Cass., 1er avril 2004, Pas., n° 174 ; Cass., 26 juin 2008, Pas., n°406 ; Cass., 17 décembre 2009, R.G.A.R., 2010, 14.633).

La force probante particulière du procès-verbal d’un agent de police en matière de circulation routière, consacrée par l’article 62 des lois coordonnées le 16 mars 1968 sur la police de la circulation routière, est de stricte interprétation et est limitée aux constatations faites personnellement par le verbalisateur à l’exclusion de toute déduction ou présomption qu’il tire ou peut tirer de ces constatations, ainsi que de toutes considérations juridiques qui s’y rattachent et de toutes informations qu’il a rassemblées en dehors de ces constatations (voy. notamment Cass., 10 mars 1987, Pas., 1987, I, 820 ; Cass., 24 décembre 1991, Pas., 1992, 377; Cass., 25 septembre 1997, Pas., I, 367).

Il apparaît, en l’espèce, que les déclarations des deux conducteurs impliqués dans l’accident litigieux sont totalement contraires en ce qui concerne les circonstances mêmes de cet accident.

En présence de deux thèses contradictoires quant à la genèse de l’accident, il appartient au tribunal de rechercher les éléments objectifs susceptibles de les départager.

Dès lors qu’il demeure un doute sur la question de savoir lequel des deux conducteurs impliqués est responsable de l’accident litigieux, M. X ne saurait, partant, obtenir la condamnation de la l’assureur de Y au paiement du montant postulé sur base des dispositions précitées.

Quant à l’application de l’article 19bis-11, § 2 de la loi du 21 novembre 1989

A cet égard, le tribunal rappelle, pour autant que de besoin, que l’article 19bis-11, §2 de la loi du 21 novembre 1989 dispose que :

 

« Par dérogation au 7° du paragraphe précédent, si plusieurs véhicules sont impliqués dans l’accident et s’il n’est pas possible de déterminer lequel de ceux-ci a causé l’accident, l’indemnisation de la personne lésée est répartie, par parts égales, entre les assureurs couvrant la responsabilité civile des conducteurs de ces véhicules, à l’exception de ceux dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée ».

En vertu de cette disposition, si plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de roulage et s’il n’est pas possible de déterminer lequel de ceux-ci a causé l’accident, l’indemnisation de la personne lésée est répartie, par parts égales, entre les assureurs couvrant la responsabilité civile des conducteurs de ces véhicules, à l’exception de ceux dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée.

Cette disposition a été introduite suite à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 septembre 2000 (n°96/2000), dans lequel celle-ci avait considéré que l’article 80, § 1e’, de la loi du 9 juillet 1975 était incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il excluait de l’intervention du Fonds commun de garantie la réparation du dommage corporel d’une personne blessée à la suite d’un accident de la circulation dont les responsabilités n’ont pas pu être déterminées

Selon les travaux préparatoires de la loi qui a introduit l’article 19bis-11, §2 précité : « Afin de lever toute discrimination, le texte prévoit une répartition par parts égales de l’indemnisation des personnes lésées entre tous les véhicules impliqués dans un accident, même si l’on ne peut déterminer lequel(s) des véhicules l’a (ont) véritablement causé. ll va de soi que le champ d’application de cette disposition est limité aux accidents survenus sur le territoire belge » (Doc. Parl., Chambre, 2001-2002, Doc. n°50-1716/001, pp. 17-18).

Dans un arrêt ultérieur, la Cour constitutionnelle a également considéré que cette disposition pouvait être considérée « comme un régime d’indemnisation automatique que la loi impose aux assureurs de la responsabilité civile des conducteurs de véhicules automoteurs (à l’exception des conducteurs dont la responsabilité civile n’est indubitablement pas engagée) » (C.C., 3 février 2011, Bull. ass., 2011, p. 163, B.11.2).

Selon la Cour, « (L)’article 4, § ter, alinéa 2, de la loi du 21 novembre 1989, en vertu duquel le conducteur d’un véhicule automoteur peut être exclu du bénéfice de l’indemnisation lorsqu’il n’a pas subi de lésions corporelles (…) n’entraîne pas que l’assureur qui couvre la responsabilité civile du conducteur lésé ne serait pas tenu d’indemniser les dommages conformément » à l’article 19 bis ­11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 dès lors que cette disposition « ne contient ni une quelconque limitation en ce qui concerne la qualité de la ‘personne lésée’ à l’égard des assureurs tenus à réparation, ni un renvoi à l’article 4, § 1er, alinéa 2, de cette loi » (Idem).

La Cour constitutionnelle a récemment confirmé la position adoptée dans cet arrêt, précisant que le législateur avait, « par la disposition en cause, poursuivi un but légitime, consistant à garantir la réparation du dommage subi par la personne lésée » et que cette disposition n’était « pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution au seul motif que les parties impliquées dans un accident pourraient la détourner sciemment de sa finalité en faisant des déclarations insuffisantes, incomplètes, imprécises ou inexactes » (C. Const., arrêt n° 123/2015 du 24 septembre 2015, B.15).

Il résulte de ce système un principe de responsabilité « quasiobjective» (P. Legrand, « L’article 19bis-11, paragraphe 2, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs (loi R.C. auto) », obs. sous C.C., 3 février 2011, Bull. ass., 2011, p. 166) qui fait exception au droit commun de la responsabilité civile en instituant une présomption de faute de chacun des véhicules impliqués dans l’accident (P. Rondao Alface, « L’article 19bis-11,§2 de la loi du 21 novembre 1989: d’incertitudes en certitudes …et vice versa », in Recueil de jurisprudence. Chronique 2011, C. Devoet (dir.), vol. 1, Anthemis, 2011, p. 339).

Lorsque plusieurs véhicules sont impliqués et qu’il est impossible de déterminer le véhicule responsable, les assureurs doivent intervenir par parts égales, sauf s’ils prouvent que la responsabilité de leur assuré n’est, selon les termes de la loi, « indubitablement pas engagée » (P. Legrand, op. cit., p. 166; S. Vereecken, « Art. 19bis-11, § 2 WAM veroorzaakt kettingbotsing tussen de verschillende interpretaties met betrekking tot de toepassingsvoorwarden », R.A.B.G., 2013/12, p. 810 ; D. Clesse, « Conditions d’application de l’article 19bis-11 § 2 de la loi du 21 novembre 1989 », note sous civ. Bruxelles, 28 mai 2013, C.R.A., 2014/1, p. 13).

En d’autres termes, « l’assureur sera tenu d’intervenir dès lors qu’il ne prouve pas que la responsabilité de son assuré ‘n’est indubitablement pas engagée’ Cette intervention sera donc requise si la responsabilité n’est pas établie, même si elle est néanmoins envisageable » (J.-P. Legrand, obs. sous C. const., 3 février 2011, Bull. Ass., 2011, n° 375, p. 166).

Par un arrêt du 20 janvier 2014, la Cour de cassation a en outre jugé que la simple considération que le comportement du conducteur concerné était potentiellement fautif ne justifiait pas le rejet de la demande fondée sur l’article 19bis-11, – 2, de la loi du 21 novembre 1989 (Cass., 20 janvier 2014, Bull. Ass., 2015/2, n° 391, p. 196).

C’est dès lors en vain, compte tenu des principes rappelés ci-avant, que la l’assureur de Y soutient, se fondant sur l’article 7 du contrat-type, que M. X « ne pourrait par conséquent prétendre à une indemnisation qu’en démontrant que sa responsabilité ne pourrait être engagée dans ce sinistre ».

Pour les mêmes motifs, il y a lieu d’écarter le raisonnement similaire, que l’assureur de Monsieur X fonde sur l’article 3, § 1er de la loi du 21 novembre 1989, lorsqu’elle affirme que l’application de l’article 19bis – 11, § 2 de la même loi serait conditionnée par la circonstance qu’il ne s’agisse pas « d’un conducteur éventuellement responsable mais dont il est impossible d’établir la responsabilité ».

Le tribunal ne peut ainsi se rallier au raisonnement de la l’assureur de Y et de l’assureur de Monsieur X dès lors qu’il aboutirait, en imposant que la personne lésée ne puisse être que celle dont la responsabilité n’est sans aucun doute pas engagée, à ajouter une condition que ne prévoit pas l’article 19bis-11, – 2, de la loi du 21 novembre 1989.

Il échet de rappeler que le système y visé est celui d’un régime d’indemnisation automatique, imposé par la loi aux assureurs de la responsabilité civile des conducteurs de véhicules automoteurs, à l’exclusion des assureurs des conducteurs dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée (P. Staquet, « Article 19bis-11, paragraphe 2, de la loi du 21 novembre 1989 — La réparation du dommage lié à un accident de la circulation dont les responsabilités sont indéterminées : la valse des questions préjudicielles, la ritournelle des réponse », in Actualités en droit de la circulation, Bruxelles, Larder, 2016, p. 158).

Partant, il appartient à la l’assureur de Y et à l’assureur de Monsieur Xde démontrer que la responsabilité du conducteur du véhicule qu’elles assurent n’est indubitablement pas engagée dans l’accident, ce qu’elles échouent à faire en l’espèce.

Comme il a été mieux explicité au point III.A., le tribunal ne dispose, en l’espèce, d’aucun élément matériel objectif qui lui permette de déterminer quelles furent la genèse et les circonstances exactes de l’accident. Ces circonstances restent dès lors indéterminées de sorte qu’il est impossible, en l’espèce, d’apprécier les responsabilités des deux conducteurs impliqués.

L’hypothèse selon laquelle Mme Y serait responsable de l’accident n’est pas exclue, même si elle n’est pas démontrée à suffisance de droit en l’espèce.

Au surplus, la circonstance que la responsabilité de M. X n’est pas non plus exclue est sans incidence (voy. dans le même sens sur ces questions, Civ. Bruxelles, 75eme chambre, 30 janvier 2015, R.G.n° 2012/7681/A, inédit, cité dans R Staquet, « Article 19bis-11, paragraphe 2, de la loi du 21 novembre 1989 — La réparation du dommage lié à un accident de la circulation dont les responsabilités sont indéterminées : la valse des questions préjudicielles, la ritournelle des réponse », in Actualités en droit de la circulation, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 154 et 155).

Par ailleurs, l’article 19bis-11, § 2 précité ne contient, par lui-même, aucune limitation de la réparation qu’il vise aux seuls dommages corporels.

Certes, il était interprété par certains comme excluant du bénéfice de l’indemnisation le conducteur du véhicule qui n’avait pas subi de lésions corporelles (voyez à ce sujet : C. Van Schoubroeck, « Kettingbotsing en de vergoeding bij afwezigheid van vastgestelde aansprakelijkheid », R.W., 2013­2014/21, p. 802 et les références citées, notamment J.-P. Legrand, op. cit., p. 167)

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D’autres, en revanche, estimaient que cette disposition s’appliquait également au dommage matériel (G. Jocque, « Het mysterie van artikel 19bis-11, paragraphe 2, WAM », T.P.R., 2004, p. 351-368 ; S. Vereecken, « Onzekerheden bij toepassing van artikel 19bis-11, paragraphe 2, WAM-Wet », note sous Pol. Bruges, 19 décembre 2007, R.A.B.G., 2009-2010, p. 702; R. Rondao Alface, op. cit., p. 339).

La Cour de cassation a récemment jugé qu’il ne résultait pas de l’article 19bis-11, § 2, que «l’obligation d’indemnisation desdits assureurs soit limitée à la réparation des dommages résultant de lésions corporelles » (Cass., 6 novembre 2014, RG n°C.14.0066.F, www.juridat.be).

La Cour constitutionnelle a également jugé, dans un arrêt du 4 décembre 2014 (R.G.A.R., 2015/2, p. 15158), que : « Interprété en ce sens qu’il ne peut s’appliquer à la réparation des dommages matériels, l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Interprété en ce sens qu’il s’applique à la réparation des dommages matériels, l’article 19bis-11, § 2, de la loi précitée du 21 novembre 1989 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution ».

 

S’il n’appartient pas à la Cour constitutionnelle, stricto sensu, d’imposer au juge qui n’a pas posé la question préjudicielle l’interprétation qu’il convient de donner à une norme législative, celui-ci est cependant tenu de retenir l’interprétation de la loi qui la rend constitutionnelle plutôt que celle qui la rend inconstitutionnelle, conformément à la directive d’interprétation conforme consacrée par la Cour de cassation dans son arrêt Waleffe (Cass., 20 avril 1950, Pas., 1950, I, p. 560 et s.).

Aussi, lorsque le dispositif d’un arrêt de la Cour constitutionnelle comporte une interprétation inconstitutionnelle et une interprétation constitutionnelle de la norme, « aucun juge ne peut plus appliquer désormais la norme dans l’interprétation condamnée; sauf à poser une nouvelle question préjudicielle à la Cour d’arbitrage, il est tenu d’appliquer la norme dans l’interprétation conforme » (J. Van Compernolle et M. Verdussen, « La guerre des juges aura-t-elle lieu? — A propos de l’autorité des arrêts préjudiciels de la Cour d’arbitrage »,1.T., 2000/15, n° 5965, p. 304).

Il y a lieu, dès lors, de considérer que la personne lésée par un accident dont le responsable n’a pas pu être déterminé peut réclamer l’indemnisation de son dommage matériel « par parts égales, entre les assureurs couvrant la responsabilité civile des conducteurs [des] véhicules [impliqués], à l’exception de ceux dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée ».

C’est dès lors en vain que l’assureur de Monsieur X soutient que le dommage au véhicule assuré serait exclu de la garantie, notamment au regard de l’article 3 de la loi du 21 novembre 1989 ainsi qui « (…) aux termes de l’A.R. du 14.12.1992 relatif au contrat-type d’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicule automoteur (…) » (ses deuxièmes conclusions de synthèse, p.11).

En outre, le tribunal constate que l’article 19bis-11, – 2 de la loi du 21 novembre 1989 ne renvoie nullement à l’article 3 de celle-ci et n’emporte pas davantage de limitation en ce qui concerne la notion de personne lésée de sorte qu’il n’aperçoit pas ce qui permettrait à l’assureur de refuser d’indemniser son assuré du dommage matériel à son véhicule (voy. R Staquet, « Article 19bis-11, paragraphe 2, de la loi du 21 novembre 1989 — La réparation du dommage lié à un accident de la circulation dont les responsabilités sont indéterminées : la valse des questions préjudicielles, la ritournelle des réponse », in Actualités en droit de la circulation, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 161).

En l’espèce, il n’est pas sérieusement contestable que M. X a subi un dommage ensuite de l’accident litigieux et s’analyse, partant, comme étant une personne lésée.

Les responsabilités n’ayant pas pu être départagées, l’article 19bis 11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 trouve à s’appliquer.

M. X est donc fondé, sur base de l’article 19bis-11 § 2 précité, à obtenir l’indemnisation de la moitié de son préjudice à charge de la l’assureur de Y et de l’autre moitié, à charge de son propre assureur.

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