Il est fréquent, dans le cadre de dossiers «assurance» de se retrouver confronté à un rapport de détective. Un arrêt de la Cour d’appel de Mons livre une analyse intéressante sur le caractère probant d’un tel rapport.

La Cour énonce que :

Pour qu’une preuve puisse être considérée comme régulière, elle doit être licite, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas avoir été obtenue en violation de dispositions légales applicables et ne doit pas avoir été obtenue de manière déloyale.

La jurisprudence Antigone

Dans la foulée de la jurisprudence dite «Antigone», il est aujourd’hui communément admis qu’un juge, même en matière civile, ne peut écarter une preuve obtenue illicitement ou de manière déloyale que dans l’un des cas suivants (Cass., 10 mars 2008, J.L.M.B., 2009, p. 580, note De Baerdemaeker) :

  1. lorsque le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité;
  2. lorsque l’irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve;
  3. lorsque l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable.

Il n’en va pas différemment lorsque les illégalités constatées consistent dans la méconnaissance de droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme et par la Constitution (Cass., 23 mars 2004, Rev. dr. pén., 2005, p. 661).

Si l’exclusion de la preuve est automatique lorsque le premier critère est rencontré, elle dépend de l’appréciation du juge s’agissant des deux autres critères.

L’appréciation de la fiabilité de la preuve et du caractère équitable de la procédure est effectuée de manière souveraine par le juge du fond (Cass., 22 novembre 2006, Pas., 2006, p. 2454).

C’est au juge qu’il appartient d’apprécier les conséquences, sur la recevabilité des moyens de preuve produits aux débats, de l’irrégularité ayant entaché leur obtention ou de ce que l’usage d’une preuve obtenue illicitement serait contraire aux principes du procès équitable.

Une preuve non fiable ou contraire aux principes du procès équitable devrait toujours être écartée, qu’elle soit en lien ou non avec une irrégularité com- mise.

Tout au plus une présomption de l’homme

Si le recours aux services d’un détective privé n’est pas critiquable, un tel rapport n’a pas une force probante authentique et il ne constitue pas à lui seul un mode de preuve irréfutable. Il constitue tout au plus une présomption de l’homme qui, conformément à l’article 1353 du Code civil, est abandonnée aux lumières du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes et devra faire preuve de prudence en tenant compte du fait que celui-ci est mandaté et payé par l’une des parties uniquement.

Le juge du fond, lequel tiendra notamment compte de la manière donc l’enquête fut diligentée.

La circonstance que les auditions recueillies par un détective privé ne soient pas soumises aux mêmes garanties que celles recueillies par un service de police dans le cadre d’une enquête pénale (loi Franchimont, loi Salduz, etc.), impose d’autant plus une prudence extrême au magistrat appelé à en connaître.

La loi du 19 juillet 1991

Un rapport de détective privé est soumis tant à la loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé qu’à la loi du 8 décembre 1992 concernant la protection de la vie privée contre les traitements de données à caractère personnel, lesquelles sont d’ordre public (Mons, 2 mars 2010, J.T., 2010, p. 696). (Protection encore renforcée par le RGPD)

Il s’en suit que :

      Le détective privé à qui une mission fut confiée par un client ne peut confier à un tiers les renseignements obtenus au cours de celle-ci et encore moins les utiliser au détriment de son client.

      En application de l’article 11 de la loi du 19 juillet 1991, tout document émanant du détective privé dans le cadre de ses activités professionnelles mentionne le titre professionnel de détective privé et l’autorisation visée à l’article 2.

En l’espèce les procès-verbaux d’audition établis par M. B. ne font état ni de sa qualité de détective privé ni de l’autorisation d’exercer cette fonction accordée par le ministère de l’Intérieur de sorte qu’il n’est pas établi que les personnes interrogées avaient connaissance de ce que celui qui les a entendus avait la qualité de détective privé.

      En application de la loi du 8 décembre 1992, le responsable du traitement doit avertir la personne concernée de l’existence du traitement et de ses finalités, préalablement à la mise en œuvre du traitement. La méconnaissance de cette obligation entraîne l’illicéité du rapport du détective en tant que mode de preuve (Mons, 10 décembre 2015, in For. ass., no 165, p. 126, note Materne).

Application :

La cour constate qu’il n’apparaît pas que le détective mandaté par l’assurance :

      a bien communiqué son identité et fait état de sa qualité aux personnes interrogées;

      leur ont fourni des informations sur ce qu’il entendait faire des réponses obtenues aux questions posées;

      leur ont fait part du but déterminé et explicite dans lequel ces informations étaient recueillies, à savoir une suspicion de sinistre intentionnel dans le chef de l’assuré de la s.a. AG Insurance

      a avisé les personnes concernées du caractère obligatoire ou non de leur réponse ainsi que les conséquences éventuelles d’un défaut de réponse.

      Les questions posées par le détective apparaissent, à certains égards, biaisées et les réponses recueillies peu fiables.

      L’énoncé des questions posées ne figure pas sur les procès-verbaux d’audition produits aux débats.

      Le détective n’interrogea pas à nouveau les personnes concernées afin de leur permettre de s’expliquer quant à leurs éventuelles contradictions

Conclusions

Il ressort de ce qui précède que ce rapport doit être écarté des débats.

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