Nous avions été interrogés par un courtier sur la question de savoir si l’assurance RC obligatoire couvrait les dégâts causés par un véhicule qui prenait feu dans un garage privé. L’assureur répondait (selon nous à tort) par la négative. Un arrêt de la Cour de Justice tranche.

La réponse de l’assureur était :

Nous indemnisons les conséquences des dommages résultant d’un accident de circulation dans lequel le véhicule assuré est impliqué.

Le cas évoqué dans votre mail ne serait donc pas couvert.

Nous rappelions alors que :

«L’article 1 du contrat type prévoit clairement que :  La garantie est accordée pour les sinistres survenus sur la voie publique ou sur les terrains publics ou privés. » et ne subordonne pas la couverture aux risques de la circulation, mais bien « la responsabilité civile encourue par les assurés à la suite d’un sinistre causé en Belgique par le véhicule désigné. »

L’assureur s’obstinait :

L’usage du véhicule dans la circulation :

 La législation ne définit pas ce qu’il y a lieu d’entendre par « circulation des véhicules ».
 Il y a donc lieu de se référer à la jurisprudence et cette dernière est partagée entre 2 interprétations :
1) La Responsabilité civile auto couvre les dommages causés par un véhicule dans le cadre de la circulation routière uniquement
2) La Responsabilité civile auto couvre tout préjudice lié à une quelconque manière d’utiliser le véhicule, qu’il soit ou pas dans la circulation, qu’il soit ou pas en mouvement.
 La jurisprudence n’étant pas unanime, le Marché de l’assurance ne l’est pas non plus. Nous ne pouvons donc nous engager – préalablement à tout sinistre – à prendre en charge, dans le cadre de la garantie RC Auto, les dégâts occasionnés par un véhicule en stationnement sans une position uniforme du Marché. (sic)

Un arrêt de la Cour de Justice du 20 juin 2019 nous départage..

Le litige était le suivant : le 20 août 2013, M. XXX, qui voulait montrer sa voiture à un voisin, a, sans parvenir à déplacer celle-ci, démarré son moteur. Dans la nuit du 20 au 21 août 2013, la voiture de M. XXX, qui n’avait pas été conduite depuis plus de 24 heures, a pris feu, provoquant un incendie de l’immeuble et causant des dommages à celui-ci. Le circuit électrique de cette voiture était à l’origine de cet incendie.

L’assureur RC avait été condamné à indemniser l’assureur incendie du propriétaire de l’immeuble. Un pourvoi avait été introduit.

La Cour de cassation considéra que la question centrale est celle de savoir si l’assurance de la responsabilité civile automobile couvre un accident dans lequel a été impliqué un véhicule dont le moteur n’était pas en marche, alors que ce véhicule, qui était stationné dans un garage privé, ne représentait aucun risque pour les usagers d’une voie de circulation.

Elle décida donc de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

1. Une interprétation qui inclut dans la couverture de l’assurance obligatoire les dommages causés par l’incendie d’un véhicule à l’arrêt, lorsque l’incendie trouve son origine dans les mécanismes nécessaires pour assurer la fonction de transport du véhicule, est-elle contraire à l’article 3 de la [directive 2009/103] ?

2. En cas de réponse négative à la première question, une interprétation qui inclut dans la couverture de l’assurance obligatoire les dommages causés par l’incendie d’un véhicule, lorsqu’il est impossible d’établir un lien avec un déplacement antérieur du véhicule, si bien qu’il est impossible de déterminer si cet incendie est lié à un trajet effectué, est-elle contraire à l’article 3 de la directive 2009/103 ?

3. En cas de réponse négative à la deuxième question, une interprétation qui inclut dans la couverture par l’assurance obligatoire les dommages causés par l’incendie d’un véhicule, lorsque ce dernier est stationné dans un garage privé fermé, est-elle contraire à l’article 3 de la directive 2009/103 ? »

La Cour de Justice de l’Union européenne rappelle d’abord le droit de l’Union.

Aux termes de l’article 1er  de la directive 2009/103 :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

1) “véhicule” : tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique, sans être lié à une voie ferrée, ainsi que les remorques, même non attelées ;

[…] »

4 L’article 3 de cette directive prévoit :

« Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées, sous réserve de l’application de l’article 5, pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance.

Elle dit ensuite pour droit :

La juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de “circulation des véhicules”, visée à cette disposition, une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle un véhicule stationné dans un garage privé d’un immeuble a pris feu, provoquant un incendie, lequel trouve son origine dans le circuit électrique de ce véhicule, et causé des dommages à cet immeuble, alors même que ledit véhicule n’a pas été déplacé depuis plus de 24 heures avant la survenance de l’incendie.

À titre liminaire, il convient de relever qu’une voiture, telle que celle en cause au principal, relève de la notion de “véhicule”, visée à l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103, laquelle est définie comme étant un “véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique, sans être lié à une voie ferrée”.
En ce qui concerne la question de savoir si une situation telle que celle en cause au principal relève de la notion de “circulation des véhicules”, au sens de l’article 3, premier alinéa, de ladite directive, il convient de rappeler que cette notion ne saurait être laissée à l’appréciation de chaque État membre, mais constitue une notion autonome du droit de l’Union, devant être interprétée, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, au regard, notamment, du contexte de cette disposition et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 20 décembre 2017, Núñez Torreiro, C-334/16, EU:C:2017:1007, point 24).

Or, la réglementation de l’Union en matière d’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules dont fait partie la directive 2009/103 tend, d’une part, à assurer la libre circulation tant des véhicules stationnant habituellement sur le territoire de l’Union européenne que des personnes qui sont à leur bord et, d’autre part, à garantir que les victimes des accidents causés par ces véhicules bénéficieront d’un traitement comparable, quel que soit l’endroit du territoire de l’Union où l’accident s’est produit (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Núñez Torreiro, C-334/16, EU:C:2017:1007, points 25 et 26).

Il ressort, en outre, de l’évolution de cette réglementation que l’objectif de protection des victimes d’accidents causés par ces véhicules a constamment été poursuivi et renforcé par le législateur de l’Union (arrêt du 20 décembre 2017, Núñez Torreiro, C-334/16, EU:C:2017:1007, point 27).

Au regard de ces considérations, la Cour a jugé que l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103 doit être interprété en ce sens que la notion de “circulation des véhicules” qui y figure n’est pas limitée aux situations de circulation routière, à savoir à la circulation sur la voie publique, et que relève de cette notion toute utilisation d’un véhicule qui est conforme à la fonction habituelle de ce dernier (arrêt du 20 décembre 2017, Núñez Torreiro, C-334/16, EU:C:2017:1007, point 28).

La Cour a précisé que, dans la mesure où les véhicules automoteurs visés à l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103, indépendamment de leurs caractéristiques, ont vocation à servir habituellement de moyens de transport, relève de ladite notion toute utilisation d’un véhicule en tant que moyen de transport (arrêt du 20 décembre 2017, Núñez Torreiro, C-334/16, EU:C:2017:1007, point 29).

À cet égard, il convient de relever, d’une part, que le fait que le véhicule impliqué dans un accident était à l’arrêt au moment de la survenance de celui-ci n’exclut pas, à lui seul, que l’utilisation de ce véhicule à ce moment puisse relever de sa fonction de moyen de transport et, en conséquence, de la notion de “circulation des véhicules”, au sens de l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103 (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company, C-648/17, EU:C:2018:917, point 38 et jurisprudence citée).

Le point de savoir si le moteur du véhicule concerné était, ou non, en marche au moment de la survenance de l’accident n’est pas davantage déterminant (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company, C-648/17, EU:C:2018:917, point 39 et jurisprudence citée).

D’autre part, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, aucune disposition de la directive 2009/103 ne limite l’étendue de l’obligation d’assurance et de la protection que cette obligation entend conférer aux victimes d’accidents causés par des véhicules automoteurs, aux cas d’utilisation de tels véhicules sur certains terrains ou sur certaines voies (arrêt du 20 décembre 2017, Núñez Torreiro, C-334/16, EU:C:2017:1007, point 31).

Il s’ensuit que la portée de la notion de “circulation des véhicules”, au sens de l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103, ne dépend pas des caractéristiques du terrain sur lequel ce véhicule est utilisé et, notamment, de la circonstance que le véhicule concerné est, au moment de l’accident, à l’arrêt et se trouve sur un parking (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company, C-648/17, EU:C:2018:917, points 37 et 40).

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le stationnement et la période d’immobilisation du véhicule sont des étapes naturelles et nécessaires qui font partie intégrante de l’utilisation de celui-ci en tant que moyen de transport.

Ainsi, un véhicule est utilisé conformément à sa fonction de moyen de transport lorsqu’il se déplace, mais, en principe, également durant son stationnement entre deux déplacements.

En l’occurrence, il y a lieu de constater que le stationnement d’un véhicule dans un garage privé constitue une utilisation de celui-ci qui est conforme à sa fonction de moyen de transport.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que ledit véhicule a été stationné plus de 24 heures dans ce garage. En effet, le stationnement d’un véhicule présuppose que celui-ci, parfois pour une longue durée, reste à l’arrêt jusqu’à son prochain déplacement.

S’agissant de la circonstance que l’accident en cause au principal résulte d’un incendie causé par le circuit électrique d’un véhicule, il convient de considérer que dès lors que ce véhicule qui est à l’origine de cet accident répond à la définition de “véhicule”, au sens de l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103, il n’y a pas lieu de distinguer parmi les pièces dudit véhicule celle qui est à l’origine du fait dommageable ni de déterminer les fonctions que cette pièce assure.

Une telle interprétation est conforme à l’objectif de protection des victimes d’accidents causés par les véhicules automoteurs qui a été constamment poursuivi et renforcé par le législateur de l’Union, comme rappelé au point 34 du présent arrêt.

Par ailleurs, il y a lieu de relever qu’il résulte de l’article 13 de la directive 2009/103 que doit être réputée sans effet, en ce qui concerne le recours des tiers victimes d’un sinistre, toute disposition légale ou contractuelle qui exclut de la couverture par l’assurance des dommages causés par l’utilisation ou la conduite d’un véhicule par une personne qui ne s’est pas conformée aux obligations légales d’ordre technique concernant l’état et la sécurité du véhicule concerné, ce qui corrobore cette interprétation.

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de “circulation des véhicules”, visée à cette disposition, une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle un véhicule stationné dans un garage privé d’un immeuble utilisé conformément à sa fonction de moyen de transport a pris feu, provoquant un incendie, lequel trouve son origine dans le circuit électrique de ce véhicule, et causé des dommages à cet immeuble, alors même que ledit véhicule n’a pas été déplacé depuis plus de 24 heures avant la survenance de l’incendie

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