Une compagnie d’assurance avait eu la singulière idĂ©e de proposer une police qui proposait Ă  leur client de bĂ©nĂ©ficier d’avantages supplĂ©mentaires en faisant appel a un avocat labellise. Ce choix permettait de bĂ©nĂ©ficier de plafonds d’interventions substantiellement supĂ©rieurs.

ConsidĂ©rant qu’une telle pratique est contraire au principe du libre choix de l’avocat, l’Ordre Des Barreaux Francophones et Germanophones de Belgique (en abrĂ©gĂ© OBFG) introduisit une procĂ©dure en cessation.

Les faits

Selon la publicitĂ© le consommateur qui souscrivait une telle police et qui acceptait de confier la dĂ©fense de ses intĂ©rĂŞts non Ă  un avocat qu’il a librement choisi, mais Ă  un avocat « labellisĂ© ARAG» ou, après modification de la publicitĂ© « partenaire ARAG »:

• bĂ©nĂ©ficiait d’un plafond d’intervention nettement supĂ©rieur Ă  celui qui lui est accordĂ© s’il exerçait son libre choix

• Ă©vitait l’application de la franchise contractuelle de 250,00 EUR.

Pour l’OBFG, cette pratique porte atteinte au principe du libre choix de l’avocat qui est consacrĂ© de manière impĂ©rative par l’article 156 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances.

Les arguments des parties

Thèse de l’OBFG

L’OBFG expose que « La seule et unique question que soulève cette action en cessation est(…) celle de savoir si ARAG viole ou non le principe du libre choix de l’avocat en accordant des avantages financiers Ă  ceux de ses assurĂ©s qui acceptent de faire appel Ă  un avocat de la liste d’avocats qu’elle a elle-mĂŞme Ă©tablie. » (ses conclusions, p.5).

Il rappelle -ce qui n’est pas contestĂ© par ARAG-, que le principe du libre choix de l’avocat en assurance protection juridique est un droit qui a Ă©tĂ© consacrĂ© au niveau europĂ©en avant d’ĂŞtre reçu en droit belge, d’abord par l’article 92 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre, puis Ă  l’article 156 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances.

L’OBFG relève encore que ce principe du libre choix de l’avocat est soulignĂ© dans la circulaire que la CBFA (devenue depuis la FSMA) a consacrĂ©e le 19 octobre 2010 Ă  l’assurance protection juridique, et que l’importance de ce principe a Ă©galement Ă©tĂ© rappelĂ©e dans le protocole d’accord qui a Ă©tĂ© signĂ© le 3 novembre 2011 entre les assureurs de protection juridique affiliĂ©s Ă  ASSURALIA, l’O.V.B. et l’OBFG.

Selon l’OBFG, en offrant un double avantage financier aux assurĂ©s qui acceptent de recourir Ă  un avocat faisant partie du pool d’avocats constituĂ© par elle, ARAG porte atteinte (fĂ»t-ce de manière indirecte) au principe de libertĂ© de choix de l’assurĂ©.

Il soutient que ce double avantage financier constitue un incitant Ă©conomique qui conduit l’assurĂ© Ă  ne pas faire appel Ă  l’avocat de son choix, mais Ă  limiter ce choix Ă  un avocat faisant partie des avocats prĂ©sĂ©lectionnĂ©s par la compagnie ARAG.

L’OBFG en conclut que le choix de l’assurĂ© est donc orientĂ© et, partant, biaisĂ©. Dès lors, il estime qu’il est Ă©tabli que le double avantage financier offert par ARAG porte atteinte au principe du libre choix de l’avocat imposĂ© par l’article 156 de la loi du 4 avril 2014.

Thèse de l’assureur PJ

ARAG soutient tout d’abord que seuls 5% des sinistres ouverts auprès de ses services dĂ©passeraient le plafond standard de la couverture si bien que dans 95 % des cas, ses assurĂ©s ont « toute l’initiative de dĂ©signer l’avocat de {leur] choix».

ARAG fait ensuite valoir que le fait de dresser une liste d’avocats n’est pas illĂ©gal. Elle se rĂ©fère Ă  la circulaire prĂ©citĂ©e de la FSMA, laquelle dispose notamment : « S’il le demande expressĂ©ment, l’assurĂ© peut choisir un avocat dans une liste fournie par l’assureur ( ..) ».

ARAG soutient d’autre part que, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union europĂ©enne, le libre choix de l’avocat ne serait pas absolu. Elle invoque Ă  cet Ă©gard l’arrĂŞt Stark rendu par la Cour de justice de l’Union europĂ©enne le 26 mai 2011 qui fait Ă©tat de circonstances dans lesquelles une limitation Ă  la prise en charge des frais et honoraires de l’avocat peut-ĂŞtre valide si bien que les avantages financiers qu’elle accorde Ă  ses assurĂ©s ne seraient pas critiquables, dès lors qu’ils permettraient une indemnisation suffisante.

RĂ©futation

Les statistiques invoquées par ARAG

Le taux de satisfaction atteint importe peu, dès lors que la question soumise au juge des cessations est une question de principe et non un calcul économique.

La question posée est le libre choix de l’avocat. Il aurait également pu être souligné qu’il est difficile pour l’assuré de déterminer à l’ouverture du dossier si « le plafond standard de la couverture » serait ou non dépassé.

Le droit de dresser une liste d’avocats

L’OBFG ne fait pas grief Ă  ARAG d’Ă©tablir une liste d’avocats Ă  renseigner Ă  ses assurĂ©s, mais bien de lier au choix que l’assurĂ© ferait d’un avocat inscrit sur ladite liste, l’octroi Ă  cet assurĂ© d’avantages supplĂ©mentaires rĂ©servĂ©s aux seuls assurĂ©s choisissant leur avocat dans la liste prĂ©Ă©tablie de ARAG

L’arrêt STARK de la CJUE

Un assurĂ© autrichien avait fait choix, pour le reprĂ©senter, d’un avocat dont le cabinet Ă©tait fort Ă©loignĂ© du siège de la juridiction compĂ©tente. La CJUE avait dit pour droit que le libre choix de l’avocat « ne s’oppose pas Ă  une disposition nationale en vertu de laquelle il peut ĂŞtre convenu que l’assurĂ© en protection juridique ne peut choisir, pour la reprĂ©sentation de ses intĂ©rĂŞts dans les procĂ©dures administratives ou judiciaires, qu’une personne professionnellement habilitĂ©e Ă  cet effet qui a son cabinet au lieu du siège de la juridiction ou de l’administration compĂ©tente en première instance »

En d’autres termes, la Cour valide le système de la loi autrichienne qui autorise les assureurs Ă  limiter leur intervention selon un critère territorial et objectif: la loi autrichienne dispose que l’assureur peut imposer Ă  son assurĂ© qu’il n’obtiendra que le remboursement des frais normalement facturĂ©s par un avocat Ă©tabli au lieu du siège du tribunal saisi du litige, et la Cour valide cette limitation, pour autant, prĂ©cise-t-elle, que cette limitation n’ait pas pour effet de vider la libertĂ© de choix de l’avocat de sa substance, et pour autant que l’indemnisation obtenue par l’assurĂ© soit suffisante.

Le tribunal dit, dès lors pour droit que « Alors que la rĂ©glementation europĂ©enne (et la loi belge) impose(nt) que l’assureur garantisse « le libre choix de l’avocat » Ă  son assurĂ©, ARAG s’empare de cette libertĂ© de choisir en effectuant, elle-mĂŞme, un prĂ©-choix d’avocats. En outre, loin de prĂ©senter ce prĂ©-choix comme une simple liste d’avocats pouvant ĂŞtre librement choisis par l’assurĂ©, elle ajoute que, si l’assurĂ© porte son choix sur un des avocats prĂ©-choisis, il bĂ©nĂ©ficiera d’avantages qui ne sont rĂ©servĂ©s qu’aux assurĂ©s qui choisissent leur avocat dans la liste du prĂ©-choix de ARAG.

Ce faisant, ARAG s’arroge une prĂ©rogative qui ne lui est pas accordĂ©e par la rĂ©glementation, mais, qu’au contraire, ARAG doit garantir Ă  l’assurĂ©. Elle exerce une partie du choix.

Elle assortit son prĂ©-choix d’incitants financiers qui peuvent conduire l’assurĂ© Ă  abandonner une partie de sa libertĂ© de choix pour la limiter Ă  un nom figurant dĂ©jĂ  sur une liste d’avocats agrĂ©Ă©s par ARAG.

A l’Ă©vidence, dans un tel système, la libertĂ© de choix devant ĂŞtre accordĂ©e Ă  l’assurĂ© n’est plus totale. Ou, autrement dit, le choix de l’avocat par l’assurĂ© n’est plus totalement libre.

Conclusions

La tribunal rappelle la doctrine selon laquelle, « l’indĂ©pendance de l’avocat et le climat de confiance qui doit exister entre celui-ci et le client exigent que dans le cadre de la protection juridique, l’assurĂ© puisse choisir la personne la mieux Ă  mĂŞme de dĂ©fendre ses intĂ©rĂŞts, sans ĂŞtre tenu de s’en remettre Ă  un avocat dĂ©signĂ© par l’assureur » (G. LEVIE, « La directive sur l’assurance protection juridique du 22 juin 1987 », in MĂ©langes Roger O. Dalcq. ResponsabilitĂ©s et assurances, Bruxelles, Larcier, 1994, p. 376).

Il suit de ce qui prĂ©cède que le produit LegalU proposĂ© par ARAG viole le principe du libre choix de l’avocat. Dès lors, en commercialisant ce produit, ARAG se rend coupable d’une pratique contraire aux pratiques honnĂŞtes du marchĂ©, laquelle doit ĂŞtre censurĂ©e.

DĂ©cisions prises

L’OBFG demandait la condamnation de ARAG d’adresser un courrier Ă  ses assurĂ©s ayant souscrit le contrat litigieux et ARAG objectait qu’elle ne peut modifier unilatĂ©ralement les conditions contractuelles et qu’elle ne pourrait modifier les polices dĂ©jĂ  conclues qu’aux Ă©chĂ©ances annuelles des contrats, moyennant un prĂ©avis de trois mois.

Le juge des cessations considĂ©ra qu’il ne lui appartient pas de s’immiscer dans les relations contractuelles nouĂ©es entre une partie et des tiers, et il ne lui appartient pas davantage d’imposer Ă  une partie d’accorder Ă  des tiers certaines conditions contractuelles.

Le tribunal se limita Ă  prononcer un ordre de cessation condamnant ARAG Ă  mettre fin Ă  la publicitĂ© litigieuse et Ă  mettre fin Ă  la commercialisation du produit, tout en invitant ARAG dĂ©cidera de la manière la plus appropriĂ©e d’avertir ses assurĂ©s du fait que certaines conditions de son produit LegalU ne peuvent dĂ©sormais plus recevoir exĂ©cution.

L’avenir nous dira quel sera le plafond qui sera appliqué par ARAG en cas de litige couvert par un produit LegalU. Il serait à mon sens contestable de ne pas appliquer le plafond maximal, quel que soit l’avocat….librement choisi

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