Sécheresse, catastrophes naturelles, suite…Quelle indemnisation

Dans le cadre d’une précédente publication, j’ai eu l’occasion d’aborder la problématique de l’indemnisation des sinistres résultant d’une modification des caractéristiques du seul et, plus précisément, d’un assèchement du sol suite aux périodes successives de sécheresse.

Cette question avait fait débat, et il fallait espérer qu’elle était définitivement tranchée en raison du vote d’une loi interprétative du 29 octobre 2021 qui précisait clairement que les dégâts causés à une habitation par la sécheresse, c’est-à-dire par la contraction du sol, relèvent bien de la police d’assurance incendie.

Cette interprétation est bien conforme aux travaux préparatoires.

Dans le cadre du projet de loi, des discussions avaient eu lieu dans la mesure où la première mouture du texte imposait, pour que le sinistre rentre dans le périmètre de la couverture catastrophe naturelle, que le mouvement de terrain soit “soudain”. Or, de nombreux cas d’espèce ne relevaient pas de cette définition.

Afin d’offrir une couverture plus large aux assurés et de répondre aux situations de terrain, un amendement fut adopté, en vertu duquel, les glissements ou affaissements de terrain qui résultent d’un processus lent et invisible et/ou qui sont dus en tout ou partie à un phénomène naturel sont également couverts par l’assurance contre les catastrophes naturelles. (Doc. Parl. Chambre, 2004-2005, projet de loi modifiant, en ce qui concerne l’assurance contre les catastrophes naturelles, la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre et la loi du 12 juillet 1976 relative à la réparation de certains dommages causés à des biens privés par des calamités naturelles — DOC 51 1732/004)

Le texte adopté sera celui connu actuellement, à savoir que l’on entend (notamment) par catastrophe naturelle :

Un glissement ou affaissement de terrain, à savoir un mouvement d’une masse importante de terrain qui détruit ou endommages des biens, dû en tout ou en partie à un phénomène naturel autre qu’une inondation ou un tremblement de terre. (DOC 51 1732/002, p. 2)

La justification explicite de ce texte (DOC 51 1732/002 p.3) était, déjà à l’époque, la suivante :

La condition liée à la soudaineté du mouvement de terrain est abandonnée, car elle peut prêter à confusion. En effet, les glissements ou affaissements de terrain peuvent résulter d’un processus lent et invisible.

(…)

L’essentiel est de couvrir tous les glissements ou affaissements dus en tout ou partie à un phénomène naturel.

La loi du 21 octobre 2021 est donc bien une loi interprétative qui n’aggrave en rien les obligations des entreprises d’assurances et n’étend pas la couverture des sinistres causés par des catastrophes naturelles.

Il était raisonnable d’espérer que cette heureuse initiative du législateur mettrait un terme à la polémique.

Hélas, l’histoire n’est pas finie. Le 23 février 2022, ASSURALIA déposa un recours en annulation à l’encontre de cette loi interprétative.

Par ailleurs, alors que dans un premier temps, les entreprises d’assurance acceptèrent d’indemniser, une nouvelle polémique surgit de manière récurrente quant à l’étendue de l’indemnisation.

En effet, ce type de sinistre a fréquemment pour conséquences des dégâts causés aux fondations et les travaux de réparation nécessitent, dès lors, la consolidation ou la reconstruction d’une nouvelle fondation.

Et c’est sur ce point qu’un nouveau débat prend naissance.

Les entreprises d’assurance font valoir que la prise en charge des frais de stabilisation de l’immeuble serait source, pour l’assuré, d’un enrichissement puisque de tels travaux entraîneraient une plus-value à l’habitation.

Je ne reviendrai pas ici longuement sur l’évolution de la jurisprudence en la matière. La problématique trouve son origine dans le fait que les assurances à caractère indemnitaire sont gouvernées par le principe indemnitaire qui commande que le contrat d’assurance ne puisse en aucun cas être une source d’enrichissement pour l’assuré.

Tout le débat porte alors que la question de savoir si l’assuré « s’enrichit », profite d’une plus-value, dans l’hypothèse où, suite à un glissement de terrain, les travaux de réparations nécessitent la reconstruction d’une nouvelle fondation.

Le principe indemnitaire se confronte, ici, au principe de la réparation intégrale du dommage. Si les victimes subissent un abattement pour vétusté, elles ne pourront reconstruire sans subir une perte.

La Cour de cassation a, le 17 septembre 2021, répondu à cette question dans un litige extrêmement similaire.

Un immeuble s’était effondré. L’expert chargé de l’évaluation du dommage relevait que les anciens murs enterrés étaient fréquemment assemblés par des mortiers qui ne comprennent plus que le sable et qui ne présentent plus aucune adhérence.

Il en concluait que compte tenu de la situation d’un immeuble constitué d’une maçonnerie de moellons assemblés au mortier de chaux et du fait que la base de maçonnerie était enfuie, il avait été proposé d’estimer une dépréciation pour cause de vétusté.

La Cour de cassation cassera l’arrêt qui, sur base de ces considérations, avait décidé d’appliquer un coefficient de vétusté pour la reconstruction de l’immeuble effondré.

Déjà, le tribunal de première instance de Bruxelles, dans un jugement du 18 avril 2005, avait dit pour droit que lorsque les personnes préjudiciées ne peuvent ni faire réparer l’immeuble détruit, ni se procurer un immeuble de remplacement dans un état équivalent à celui du bien détruit, elles sont fondées à solliciter la contre-valeur de la construction d’un bien neuf, même si elles en retirent inévitablement un certain enrichissement.

Il est utile de savoir que cet Arrêt a été prononcé en audience plénière en raison de l’existence antérieure d’une jurisprudence divergente de la Chambre néerlandophone de la Cour de cassation.

Notons également, à toutes fins, que nous rejoignons ainsi la jurisprudence française que :

« C’est également afin de permettre une réparation ou un remplacement effectif que la Cour de cassation refuse de prendre en compte la vétusté du bien endommagé, c’est-à-dire l’usure de celui-ci due à l’écoulement du temps, pour réduire le montant de l’indemnisation lorsqu’il n’est d’autre solution pour permettre à la victime de disposer à nouveau d’un bien, réparé ou remplacé.

(…)

À défaut d’une telle solution, la victime devrait en effet prélever sur ses propres deniers pour effectuer la réparation ou le remplacement. Si elle ne dispose pas des moyens pour ce faire, sa satisfaction par la réparation ou le remplacement du bien endommagé sera compromise. Partant, la Cour de cassation censure systématiquement les décisions des juges du fond qui font état d’un coefficient de vétusté venu réduire l’indemnisation allouée à la victime.

(…)

Le même raisonnement explique pareillement l’absence de prise en compte de la plus-value résultant de la réparation ou du remplacement, tout du moins dès lors que cette plus-value est « nécessaire » pour procéder à la réparation ou au remplacement du bien. » Traullé, J., « Chapitre XXIII – Les dommages aux biens : réparation ou remplacement » in Dubuisson, B. et Jourdain, P. (dir.), Le dommage et sa réparation dans la responsabilité contractuelle et extracontractuelle, 1e édition, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 931-967)