Pour mémoire, l’ASBL « Assuralia », et diverses compagnies avaient déposé un recours en annulation de l’article 2 de la loi du 29 octobre 2021 intitulée « loi interprétative de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances » .

Le débat trouvait son origine dans le fait que l’assureur d’un contrat d’assurance incendie qui couvre les risques simples doit accorder une garantie contre les catastrophes naturelles suivantes : un tremblement de terre, une inondation, un débordement ou un refoulement d’égouts publics et un glissement ou un affaissement de terrain.

Selon les travaux préparatoires de la loi du 29 octobre 2021, une insécurité juridique est ensuite apparue en ce qui concerne la couverture par la police d’assurance incendie de dommages occasionnés à des habitations qui sont causés par la sécheresse. Plus particulièrement, il s’est avéré que les compagnies d’assurances refusent parfois de couvrir les dommages occasionnés à des habitations par la sécheresse, parce que la contraction de l’ensemble du sous-sol ne constitue pas, selon elles, un « mouvement d’une masse importante de terrain » et n’est donc pas un « glissement ou un affaissement de terrain » au sens de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 (Doc. parl., Chambre, 2019-2020, DOC 55-1022/001, p. 3).

Pour mettre fin à cette insécurité juridique, le législateur a estimé nécessaire de préciser par une « loi interprétative […] que toute contraction du sol due à la sécheresse constitue un affaissement de terrain relevant du champ d’application de la loi actuelle » (ibid., p. 4).

À cet effet, l’article 2, attaqué par les entreprises assurances, de la loi du 29 octobre 2021 dispose :

« L’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances doit être interprété en ce sens qu’il y a notamment lieu de comprendre par ‘ mouvement d’une masse importante de terrain qui détruit ou endommage des biens, dû en tout ou en partie à un phénomène naturel autre qu’une inondation ou un tremblement de terre ’ toute contraction d’une masse importante de terrain due en tout ou en partie à une période de sécheresse prolongée, qui détruit ou endommage des biens ».

Le premier moyen invoqué par les assureurs et que cette loi heurterait le principe de l’État de droit, avec le principe de la non-rétroactivité, avec le principe de la sécurité juridique, avec le principe de la confiance légitime et avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans la première branche du premier moyen, les parties requérantes soutiennent que la disposition attaquée est présentée à tort comme une disposition interprétative puisqu’elle ne satisfait pas aux conditions de l’article 84 de la Constitution.

La disposition attaquée comporte une nouvelle règle de droit rétroactive, en ce qu’elle étend le champ d’application de la disposition interprétée. Selon les assureurs, la « contraction du sol due à une période de sécheresse prolongée » ne relève en effet pas des catastrophes naturelles, en particulier des « glissements et affaissements de terrain », que le législateur voulait faire assurer en 2005 par le biais de l’assurance incendie.

Les entreprises assurances soutenaient donc en substance que la disposition attaquée n’est pas une disposition interprétative, mais une nouvelle règle de droit rétroactive, en ce qu’elle étend le champ d’application de la disposition interprétée. Le législateur interviendrait ainsi dans des litiges pendants, sans que cela puisse être justifié par des circonstances exceptionnelles ou par des motifs impérieux d’intérêt général. Par ailleurs, la disposition attaquée porterait ainsi atteinte à l’intérêt qu’ont les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes, en ce qu’elle contraindrait les compagnies d’assurances à couvrir un risque avec effet rétroactif. Enfin, il serait porté atteinte au droit de propriété, en ce que les prétentions juridiques légitimes des parties requérantes sont infirmées rétroactivement.

Dès lors que les deux moyens sont étroitement liés, la Cour les a examinés conjointement et motive sa décision comme suit.

Aux termes de l’article 84 de la Constitution, l’interprétation des lois par voie d’autorité n’appartient qu’à la loi.

Une disposition législative est interprétative quand elle confère à une disposition législative le sens que, dès son adoption, le législateur a voulu lui donner et qu’elle pouvait raisonnablement recevoir. C’est donc le propre d’une telle disposition législative de sortir ses effets à la date d’entrée en vigueur de la disposition législative qu’elle interprète.

Toutefois, la garantie de la non-rétroactivité des lois ne pourrait être éludée par le seul fait qu’une disposition législative ayant un effet rétroactif serait présentée comme une disposition législative interprétative.

Une disposition interprétative se justifie par la suppression de l’insécurité juridique à laquelle le caractère incertain ou contesté d’une disposition législative a donné lieu.

Les travaux préparatoires de la disposition attaquée précisent :

« La sécheresse de ces dernières années ne reste pas sans conséquences. Le nombre d’habitations bâties sur un sol argileux et gravement endommagées en raison de la sécheresse des sous-sols ne cesse d’augmenter. Le réchauffement climatique est en partie responsable des habitations qui s’écroulent en raison de la sécheresse. Les habitations bâties sur un sol argileux sont davantage touchées, car ce type de sol se contracte et s’affaisse. On observe également ce phénomène dans des régions aux sous-sols comparables, par exemple aux Pays-Bas.

+Le problème pour les personnes lésées est que les compagnies d’assurance refusent parfois de couvrir les dommages, obligeant ainsi les propriétaires concernés à s’acquitter d’une facture salée.

En 2005, une modification de la loi relative aux assurances avait été approuvée afin que les dommages de ce type soient couverts par les assurances. Les dommages causés par une catastrophe naturelle ont alors été inclus dans l’assurance habitation. Pour que les dommages soient couverts, il fallait que le sol ne s’affaisse ni subitement, ni exclusivement par l’effet d’un phénomène naturel. Il était par conséquent essentiel de prévoir que tous les affaissements dus au moins partiellement à un phénomène naturel soient indemnisés.

À l’époque, cette modification législative avait été justifiée comme suit :

« La condition liée à la soudaineté du mouvement de terrain est abandonnée, car elle peut prêter à confusion. En effet, les glissements ou affaissements de terrain peuvent résulter d’un processus lent et invisible. Cette disposition est sans préjudice de la responsabilité des pouvoirs publics ou des citoyens de prendre les mesures de protection nécessaires en cas de glissements ou affaissements visibles ou connus. L’essentiel est de couvrir tous les glissements ou affaissements dus en tout ou partie à un phénomène naturel. »

Les assureurs peuvent déterminer eux-mêmes si un affaissement de terrain est dû totalement ou partiellement à un phénomène naturel ou humain.

Certains assureurs abusent hélas de cette liberté d’appréciation en soutenant que la contraction du sol ne constitue pas un affaissement. Ils estiment que la contraction de l’ensemble du sous-sol ne constitue nullement un mouvement d’une masse importante de terrain, comme le requiert la loi. Leur raisonnement est qu’il doit être question d’un mouvement d’une masse ‘ exceptionnelle ’ de terrain pour que la condition légale soit remplie. Par ailleurs, ces mêmes assureurs estiment que rien ne prouve que la contraction du sol est due à la sécheresse.

Dans l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, la disposition en question est rédigée comme suit :

d) soit un glissement ou affaissement de terrain, à savoir un mouvement d’une masse importante de terrain qui détruit ou endommage des biens, dû en tout ou en partie à un phénomène naturel autre qu’une inondation ou un tremblement de terre. ’.

Pour remédier à ces malentendus, il est nécessaire d’adopter une loi interprétative précisant que toute contraction du sol due à la sécheresse constitue un affaissement de terrain relevant du champ d’application de la législation actuelle.

Une modification de la loi serait inopportune, car elle obligerait uniquement les assureurs à couvrir les dommages en question à partir de son entrée en vigueur, au lieu d’offrir une sécurité juridique pour les cas d’affaissement déjà constatés » (Doc. parl., Chambre, 2019- 2020, DOC 55-1022/001, pp. 3-4).

Ainsi, il apparaît que, par la disposition attaquée, le législateur a voulu mettre fin à l’insécurité juridique qui découlait de l’application différente que faisaient les assureurs de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014.

Cette insécurité juridique concernant l’interprétation de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 a également été constatée par la section de législation du Conseil d’État dans son avis relatif au projet de loi qui a donné lieu à la disposition attaquée :

« En ce qui concerne l’exigence que la disposition à interpréter doit être peu claire et susceptible d’interprétations en sens divers, on mentionnera une analyse de la jurisprudence récente effectuée par le SPF Économie, à propos de laquelle la Secrétaire d’État au Budget et à la Protection des consommateurs a déclaré en Commission de l’Économie, de la Protection des consommateurs et de l’Agenda numérique du 28 avril 2021 :

‘ (…) Je vais maintenant vous exposer les arguments que les consommateurs et les assureurs invoquent en la matière. Les consommateurs font valoir que la garantie légale joue parce que le terrain est en mouvement et que cela est dû à un phénomène naturel, causant le dommage. Ils font référence au texte de l’article 124, § 1er, d) et aux conditions de la police d’assurance de leur assureur, qui a souvent reproduit in extenso la formulation du texte de loi. Les assureurs rejettent la déclaration parce qu’il n’y a pas de disparition du sol, alors que tel est le cas dans le cadre d’un glissement ou d’un affaissement de terrain. En cas de contraction, il n’y a [pas] d’affaissement au sens d’un mouvement d’une masse importante de terrain. Il est par contre question d’une modification du volume du sous-sol.

(…)

Nous avons chargé le SPF Économie de réaliser une analyse juridique de la législation actuelle parce que la jurisprudence est, à ce stade, très divergente. D’une première analyse, il ressort du jugement du Tribunal de première instance de Namur rendu en 2014 et de l’arrêt du 10 mai 2016 de la Cour d’appel de Liège que cette affaire ne relève pas de la loi sur les assurances, alors qu’il ressort des arrêts du 20 juin 2017 de la Cour d’appel de Mons et du 16 mars 2017 de la Cour d’appel de Gand, ainsi que du jugement du 2 décembre 2020 du Tribunal de l’entreprise de Gand, division de Courtrai, que ces affaires en relèvent effectivement. Nous pouvons donc à tout le moins dire que la jurisprudence en l’espèce ne donne pas une image claire. (…) ’ (traduction libre).

Abstraction faite de la question de savoir quelle est la jurisprudence actuellement majoritaire, il ressort de la citation précitée que la disposition interprétée semble effectivement donner lieu à des arguments et interprétations divers » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1022/002, pp. 6-7).

Pour déterminer le sens qu’il a voulu donner à l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014, le législateur s’est basé sur les travaux préparatoires de la loi du 17 septembre 2005. En effet, la définition de la notion de « glissement de terrain ou [d’]affaissement de terrain » a été introduite à l’origine par la loi du 17 septembre 2005 dans la loi du 25 juin 1992, puis reprise sans modification dans l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014.

Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 17 septembre 2005 que, dans la définition de la notion de « glissement ou [d’]affaissement de terrain » proposée à l’origine, il était mentionné qu’il devait s’agir « d’un mouvement soudain dû à un phénomène naturel, à l’exception du tremblement de terre, d’une masse importante de terrain qui détruit ou endommage des biens » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1732/001, p. 39).

La condition liée à la soudaineté du mouvement de terrain a finalement été supprimée car, selon le législateur, elle pouvait prêter à confusion :

« En effet, les glissements ou affaissements de terrain peuvent résulter d’un processus lent et invisible. Cette disposition est sans préjudice de la responsabilité des pouvoirs publics ou des citoyens de prendre les mesures de protection nécessaires en cas de glissements ou affaissements visibles ou connus. L’essentiel est de couvrir tous les glissements ou affaissements dus en tout ou partie à un phénomène naturel » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1732/002, p. 3).

Il découle de ces travaux préparatoires que l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 a toujours visé à couvrir tous les glissements ou affaissements de terrain dus en tout ou en partie à un phénomène naturel autre qu’une inondation ou un tremblement de terre.

Il peut ainsi être admis que l’intention du législateur a toujours été de considérer toute « contraction d’une masse importante de terrain due en tout ou en partie à une période de sécheresse prolongée […] » comme un « glissement ou affaissement de terrain », conformément à l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, dans le cas d’une telle contraction, il est en effet tout autant question d’un « mouvement d’une masse importante de terrain dû en tout ou en partie à un phénomène naturel […] » au sens de la disposition précitée.

Il ressort de ce qui précède qu’en adoptant l’article 2, attaqué, de la loi du 29 octobre 2021, le législateur a cherché à remédier à l’insécurité juridique née des interprétations divergentes de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014. La disposition attaquée donne à

cet article un sens que, dès son adoption, le législateur a voulu lui donner et qu’il pouvait raisonnablement recevoir.

L’article 2, attaqué, de la loi du 29 octobre 2021 est dès lors une disposition interprétative. La rétroactivité de la disposition attaquée que dénoncent les parties requérantes se justifie dès lors par le caractère interprétatif de cette disposition.

Les entreprises d’assurance invoquaient également, alinéa 1er, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et du principe de la loyauté fédérale, lu en combinaison avec les principes du raisonnable et de la proportionnalité. En considérant la contraction de terrain due à une période de sécheresse prolongée comme un risque assurable en vertu de l’article 124 de la loi du 4 avril 2014, la disposition attaquée porterait atteinte à la compétence des régions en matière de politique agricole, y compris la reconnaissance et le financement de l’intervention à la suite de dommages causés par des calamités agricoles.

L’article 2, attaqué, de la loi du 29 octobre 2021 étant une disposition législative interprétative, il ne modifie pas la portée de la disposition qu’il interprète.

L’obligation pour l’assureur d’un contrat d’assurance incendie qui couvre les risques simples d’accorder la garantie contre « toute contraction d’une masse importante de terrain due en tout ou en partie à une période de sécheresse prolongée » ne trouve dès lors pas son origine dans la disposition attaquée, mais dans l’article 124, § 1er, d), interprété, de la loi du 4 avril 2014. Le grief invoqué ne saurait être imputé à la disposition attaquée.

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