Un arrêt du 13.2.2003 de la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire REFAH PARTISI (PARTI DE LA PROSPÉRITÉ) ET AUTRES c. TURQUIE mérite de retenir notre réflexion. Refah Partisi (Parti de la prospérité, ci-après le « Refah »), était un parti politique qui fut fondé le 19 juillet 1983. Le 21 mai 1997, le procureur général près la Cour de cassation intenta devant la Cour constitutionnelle turque une action en dissolution du Refah, auquel il reprochait de s’être transformé en « centre d’activités contraires au principe de laïcité ».

A l’appui de sa demande, il invoquait plusieurs actes et déclarations des dirigeants et des membres du Refah, lesquels lui auraient permis de déduire que certains objectifs du parti, tels que l’instauration de la charia et d’un régime théocratique, étaient incompatibles avec les exigences d’une société démocratique.

Par un arrêt du 16 janvier 1998, la Cour constitutionnelle de Turquie prononça la dissolution du Refah, au motif qu’il était devenu un « centre d’activités contraires au principe de laïcité ». Elle ordonna également le transfert des biens du Refah au Trésor public. La Cour constitutionnelle considéra par ailleurs que les déclarations publiques des dirigeants du parti, avaient engagé directement la responsabilité du Refah quant à la constitutionnalité de ses activités ; en conséquence, elle décida de déchoir ces derniers de leur qualité de députés et de leur interdire d’exercer certaines autres fonctions politiques pendant une période de cinq ans.

Le parti Refah et ses dirigeants introduisirent un recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme en invoquant les articles 9, 10, 11, 14, 17 et 18 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ainsi que les articles 1 et 3 du Protocole n° 1 à la Convention.

Toutes les parties reconnaissent que la dissolution du Refah et les mesures qui l’accompagnaient s’analysent en une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit à la liberté d’association reconnu par l’article 11 de la Convention.

Il restait à déterminer si l’ingérence était prévue par la loi et poursuivait un but légitime « nécessaire dans une société démocratique ».

La Cour rappelle que les libertés garanties par l’article 11 ainsi que par les articles 9 et 10 de la Convention ne sauraient priver les autorités d’un Etat, dont une association, par ses activités, met en danger les institutions, du droit de protéger celles-ci.

La Cour estime qu’un parti politique peut promouvoir un changement de la législation ou des structures légales ou constitutionnelles de l’Etat à deux conditions : premièrement, les moyens utilisés à cet effet doivent être légaux et démocratiques et, deuxièmement, le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux.

Il en découle nécessairement qu’un parti politique dont les responsables incitent à recourir à la violence ou proposent un projet politique qui ne respecte pas la démocratie ou qui vise la destruction de celle-ci ainsi que la méconnaissance des droits et libertés qu’elle reconnaît, ne peut se prévaloir de la protection de la Convention contre les sanctions infligées pour ces motifs.

Seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à leur liberté d’association. Pour juger en pareil cas de l’existence d’une nécessité au sens de l’article 11 § 2, les Etats contractants ne disposent que d’une marge d’appréciation réduite. Pourvu qu’il remplisse les conditions mentionnées ci-dessus, un parti politique qui s’inspire des valeurs morales imposées par une religion ne saurait être considéré d’emblée comme une formation enfreignant les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils ressortent de la Convention.

La Cour estime aussi que les statuts et le programme d’un parti politique ne peuvent être pris en compte comme seul critère afin de déterminer ses objectifs et intentions. L’expérience politique des Etats contractants a montré que dans le passé, les partis politiques ayant des buts contraires aux principes fondamentaux de la démocratie ne les ont pas dévoilés dans des textes officiels jusqu’à ce qu’ils s’approprient le pouvoir. C’est pourquoi la Cour a toujours rappelé qu’on ne saurait exclure que le programme politique d’un parti cache des objectifs et intentions différents de ceux qu’il affiche publiquement. Pour s’en assurer, il faut comparer le contenu de ce programme avec les actes et prises de position des membres et dirigeants du parti en cause.

Dans le cadre de son examen global sur la nécessité de l’ingérence en cause et, notamment, sur la question de savoir si celle-ci correspondait à un besoin social impérieux, la Cour constate que les actes et les discours des membres et dirigeants du Refah invoqués par la Cour constitutionnelle étaient imputables à l’ensemble du parti, que ces actes et discours révélaient le projet politique à long terme du Refah visant à instaurer un régime fondé sur la charia dans le cadre d’un système multi-juridique, et que le Refah n’excluait pas le recours à la force afin de réaliser son projet et de maintenir en place le système qu’il prévoyait. Considérant que ces projets étaient en contradiction avec la conception de la « société démocratique » et que les chances réelles qu’avait le Refah de les mettre en application donnaient un caractère plus tangible et plus immédiat au danger pour la démocratie, la sanction infligée aux requérants par la Cour constitutionnelle, même dans le cadre de la marge d’appréciation réduite dont disposait l’Etat défendeur, peut raisonnablement être considérée comme répondant à un « besoin social impérieux ».
La Cour conclut en outre que les ingérences en cause ne peuvent être considérées comme disproportionnées aux buts visés.

Dès lors, il existait des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier la dissolution du Refah et la déchéance temporaire de certains droits politiques prononcée à l’encontre des autres requérants. Il en résulte que la dissolution du Refah peut être considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 11 § 2. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 11 de la Convention .

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