La cour d’appel de Bruxelles a prononcé, ce 1er mars, un arrêt dans le cadre du litige qui opposait ARAG à l’OBFG (l’Ordre des barreaux francophones et germanophone)

Ce litige concernait la légalité du produit d’assurance protection juridique LegalU 3 qu’ARAG a commercialisé à la suite de la loi du 22 avril 2019 visant à rendre plus accessible l’assurance protection juridique (dite « Loi GEENS »).

Pour mémoire, en ce qui concerne la prise en charge des frais et honoraires des avocats, l’article 8 § 2 de cette loi prévoit que :

La garantie concernant les frais et honoraires des avocats est prise en charge par l’assureur à concurrence des montants fixés par le Roi.

Tout dépassement des montants fixés par le Roi sera à charge du client, même si le plafond de garantie prévu au paragraphe 3 n’est pas atteint. L’assureur dispose de la faculté de prendre en charge les dépassements fixés par le Roi en tenant compte de ses plafonds de garantie visés au § 3 ».

L’arrêté royal du 28 juin 2019, pris en exécution de cette disposition, fixe des montants par prestation d’avocat. »

Dans le cadre du contrat d’assurance protection juridique LegalU 3, ARAG accordait un double avantage financier (plafond nettement plus élevé et suppression de la franchise) aux seuls assurés qui faisaient choix d’un avocat qui acceptait de limiter ses honoraires aux barèmes fixés par l’arrêté royal du 28 juin 2019.

La question que la Cour était amenée à trancher était donc de savoir si cette situation portait ou non atteinte au principe du libre choix de l’avocat.

La Cour rappelle alors que le libre choix de l’avocat par l’assuré en assurance protection juridique est un principe fondamental qui est consacré tant au niveau européen que belge (l’article 201 de la directive 2009/138/CE du 25 novembre 2009 ; l’article 156 de la loi du 4 avril 2014).

Répondant au moyen selon lequel le plafond standard serait suffisant dans 95 % des cas, la Cour répond que ce n’est pas de nature à justifier que la liberté de choisir son avocat puisse être bafouée dans 5 % des cas.

Par ailleurs, au moment où l’assuré choisit son avocat, il est difficile de prévoir si le plafond standard sera suffisant.

La Cour constate alors que le choix de l’assuré est donc influencé dès le départ par la différence de couverture qu’ARAG propose selon que l’avocat applique ou non les barèmes fixés par l’arrêté royal du 28 juin 2019.

En offrant des avantages financiers aux assurés qui font choix d’avocats qui appliquent les barèmes fixés par l’Arrêté Royal du 28 juin 2019, ARAG les oriente très clairement à choisir un avocat qui relève de cette catégorie.

ARAG soutenait qu’il est parfaitement légal de se référer aux avocats qui appliquent ce barème et que l’OBFG, qui a été associé à l’élaboration de la loi GEENS, l’a accueillie de manière favorable.

Selon ARAG, sont produit LegalU 3 n’est, dès lors, qu’une simple application de la loi GEENS qui prévoit que l’assuré choisit librement son avocat, mais que ce choix peut avoir des conséquences financières différentes selon que l’avocat librement choisi accepte ou non d’appliquer le barème.

Se fondant sur un courrier du 30 octobre 2019 de ARAG, la Cour considère que cela démontre clairement que l’octroi d’avantages financiers dépend directement du choix de l’assuré et non de son avocat.

ARAG a ainsi écrit :

« L’assuré qui décide de poursuivre sa relation avec un avocat qui n’applique pas les barèmes bénéficiera d’une couverture d’assurance raisonnable, suffisante et équivalente à celle offerte par les autres compagnies d’assurance en Belgique. Si l’assuré décide de collaborer avec un avocat qui adhère aux barèmes, il bénéficiera de conditions plus favorables ».

Pour la Cour, ce n’est par ailleurs pas la référence aux avocats qui appliquent le barème fixé par l’arrêté royal du 28 juin 2019 ni le fait que certains avocats acceptent de l’appliquer (et d’autres non) qui pose problème, mais l’influence qu’ARAG exerce sur ses assurés en les incitant, par le biais d’avantages financiers, à faire choix d’un avocat qui accepte d’appliquer le barème édicté par l’arrêté royal du 28 juin 2019.

Selon la Cour, l’assuré voudra alors trouver un avocat qui accepte de pratiquer les barèmes fixés par l’arrêté royal GEENS afin de bénéficier des conditions avantageuses proposées par ARAG, ce qui limite son choix.

ARAG opérait une comparaison avec le système en vigueur en matière de soins de santé (médecins conventionnés ou pas) que la Cour considère comme non pertinente.

Dans le cadre de ce système qui est régi par des mécanismes qui lui sont propres, l’étendue des prestations de la mutuelle ne varie pas selon que le médecin est conventionné ou non. Que le médecin soit conventionné ou non, le montant du remboursement de la mutuelle est le même pour tous et ne dépend pas des tarifs appliqués par le prestataire de soins que la personne choisit de consulter.

De même, la cour écarte la comparaison opérée par ARAG avec les polices d’assurance hospitalisation qui offrent un remboursement plus important aux assurés qui choisissent un hôpital partenaire de l’assureur en soulignant « qu’on ne (leur) reproche pas de violer le principe du libre choix du patient ».

La Cour relève la différence qui peut exister entre le choix de l’hôpital et le libre choix du dispensateur de soins, mais surtout constate que cette absence de reproche (faudrait-il penser que la Cour ferait droit à une action dirigée contre les assureurs soins de santé ?) ne prive pas l’OBFG de contester la légalité de la police d’assurance protection juridique LegalU 3 pour violation du principe du libre choix de l’avocat.

ARAG fait également valoir que le libre choix de l’avocat n’est pas un droit absolu et qu’il peut faire l’objet de restrictions dans les conditions énoncées par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt Stark du 26 mai 2011.

Pour rappel, dans cette affaire, la Cour s’est prononcée par rapport à une situation bien spécifique : un justiciable autrichien, M. Stark, habitant à plus de 600 Km de Vienne, avait fait choix d’un avocat de sa localité pour introduire une action devant le tribunal du travail de Vienne.

Son assureur protection juridique avait, en application de la loi autrichienne, refusé de prendre en charge les frais supplémentaires dus à l’éloignement du cabinet de l’avocat par rapport au siège de la juridiction compétente.

A la question de savoir si cette restriction portait atteinte au principe du libre choix de l’avocat, la Cour de justice a répondu qu’il était possible de limiter la couverture d’une assurance protection juridique, à condition de ne pas porter atteinte à la substance du droit consacré.

Or, en l’espèce, il est reproché à ARAG d’orienter le choix de ses assurés en leur offrant des conditions plus avantageuses s’ils font appel à un avocat qui accepte d’appliquer le barème édicté par l’arrêté royal du 28 juin 2019. L’octroi de ces avantages financiers influencera nécessairement le choix de l’assuré quant à l’avocat appelé à l’assister.

La liberté de choix de l’assuré n’est donc plus totale. Elle ne serait selon la Cour, pas limitée par un critère objectif, mais par la volonté d’ARAG de les diriger vers une catégorie bien déterminée d’avocats.

Il est donc décidé que ce procédé constitue une entrave importante au principe du libre choix de l’avocat qui ne peut être admise sans qu’il soit nécessaire d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne à ce propos.

Il est donc ordonné à ARAG de mettre un terme à la commercialisation de ce produit.

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