Rien n’est plus énervant que de ne pas recevoir de réponse.

C’est pourtant le sort de nombreuses victimes qui, dans le cadre d’un accident n’arrivent pas à savoir pourquoi elles ne sont pas indemnisées.  Un jugement du tribunal de police de Bruxelles a rappelé aux assureurs que même s’ils n’estimaient pas devoir indemniser la victime, il leur appartenait de répondre avec diligence sous peine de lourdes sanctions.

Dans le cadre de la quatrième directive sur l’assurance automobile, les Etats membres se sont accordés pour prévoir un mécanisme de sanction financière efficace et systématique afin d’assurer que dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la personne lésée présente sa demande d’indemnisation, l’entreprise d’assurances présente une offre d’indemnisation motivée.

Dans ce contexte, le législateur belge a adopté la loi du 22 août 2002 qui a, notamment, modifié l’article 14 de la loi du 21 novembre 1989.

Rappel de l’article 14 de la loi du 21 novembre 1989

 

1.   Dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la personne lésée a présenté sa demande d’indemnisation, l’entreprise d’assurances de la personne qui a causé l’accident ou l’entreprise d’assurances du propriétaire, du détenteur ou conducteur du véhicule impliqué dans l’accident au sens de l’article 29bis, § 1er, alinéa 1er, ou leur représentant chargé du règlement des sinistres est tenu de donner une réponse motivée aux éléments invoqués dans la demande lorsque :

–      la responsabilité ou l’application de l’article 29bis est contestée ou n’a pas été clairement établie ;

     ou que

–      le dommage est contesté ou n’est pas entièrement quantifié ou quantifiable.

2.   Si aucune réponse motivée n’est donnée dans le délai de trois mois visé au paragraphe premier, l’assureur est de plein droit tenu au paiement d’une somme forfaitaire de 250 € par jour.

Cette somme est due à partir de celui des deux jours suivants qui viendra en premier lieu :

1)   le jour où la personne lésée a rappelé, par lettre recommandée ou par tout autre moyen équivalent, à l’assureur l’échéance du délai visé au paragraphe premier ;

2)   le jour où l’assureur a été averti par le Fonds commun de Garantie en application de l’article 19bis-13, § 1er, alinéa 2, 1°.

Cette somme cesse d’être due le jour suivant celui de la réception de la réponse motivée ou de l’offre motivée d’indemnisation par la personne lésée.

Les faits

 

Un taxi était en stationnement, porte ouverte, lorsqu’un bus a accroché sa portière gauche en tournant à droite.

Le chauffeur de taxi faisait grief au bus d’avoir tourné sans conserver une distance suffisante par rapport à l’obstacle prévisible qu’il constituait tandis que le chauffeur du bus affirmait que la portière s’était ouverte un peu plus qu’elle ne l’était avant qu’il n’entame son virage.

Divers courriers avaient été échangés et l’assureur du bus avait répondu d’abord que le sinistre ne lui avait pas été déclaré, ensuite qu’il transmettait la version de son client.

Par la suite, à chaque nouvelle interpellation, l’assureur se bornait à invoquer la version de son assuré mais sans justifier les raisons pour lesquelles il devrait décliner son intervention.

Las de ce dialogue peu fructueux, le propriétaire du véhicule heurté par le bus avait assigné et précisé, dans sa citation, qu’il entendait faire application de l’article 14 de la loi du 21 novembre 1989 dans les termes suivants :

« Attendu que l’article 14 de la loi du 21 novembre 1989 prévoit que dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la personne lésée a présenté sa demande d’indemnisation, l’entreprise d’assurances de la personne qui a causé l’accident est tenue de donner une réponse motivée aux éléments invoqués dans la demande ;

Attendu qu’à tout le moins le courrier du 11 avril 2006 du conseil de la requérante doit être considéré comme une demande d’indemnisation ;

Attendu que la citée n’a jamais justifié son refus d’indemniser ;

Attendu que l’article 14 prévoit que si aucune réponse motivée n’est donnée dans un délai de trois mois, l’assureur est tenu de plein droit au paiement d’une somme forfaitaire de 250 € par jour ;

Attendu que cette somme est due à partir du jour où la personne lésée a rappelé par lettre recommandée ou par tout autre moyen équivalent à l’assureur l’échéance du délai précité ;

Attendu que la présente citation doit être considérée comme moyen équivalent ;

Attendu que la somme de 250 € cessera d’être due le jour suivant celui de la réception ou de la réponse motivée de la citée ou d’une offre motivée d’indemnisation ; »

Le jugement

 

Après avoir débouté le chauffeur du véhicule (considérant que le bus avait été confronté à un obstacle imprévisible) le Tribunal de première Instance de Bruxelles fera une juste et pertinente application de l’article 14.

À titre principal, l’entreprise d’assurances faisait valoir que :

1)   Elle aurait clairement exposé que son assurée n’était pas responsable en se fondant sur la déclaration du chauffeur.

2)   Elle aurait contesté la responsabilité du chauffeur et demandé à la partie adverse de communiquer les fondements de sa position.

3)   La partie demanderesse ne serait pas en mesure d’établir la faute de son assurée.

À titre subsidiaire, l’entreprise d’assurances invoquait essentiellement :

  1. les lenteurs de la justice,
  2. le fait que la demanderesse aurait invoqué tardivement l’article 14 si bien que la demanderesse commettrait un abus de droit.

Après avoir rappelé le contexte de la quatrième directive, le Tribunal citera l’affaire C-447/04 dans laquelle la Cour de Justice des communautés européennes a dit pour droit que :

« Il convient de constater que l’objectif de l’article 4, § 6 de la directive 2000/26 est non pas, comme le soutient la partie défenderesse, de faire bénéficier l’assureur d’un délai raisonnable pour régler le sinistre, mais, ainsi qu’il ressort du dix-huitième considérant de la même directive, de garantir le droit spécifique de la personne lésée d’obtenir le règlement du litige dans les meilleurs délais. »

Le Tribunal analysera alors la notion de « réponse motivée » et rappellera que le Dictionnaire de l’Académie française donne la définition suivante du mot « motivé » : « Justifier par des motifs », et que le Littré en donne la définition suivante : « Munir des motifs nécessaires. – Il motiva son refus. Aujourd’hui les Juges sont obligés de motiver leur jugement.».

Le Tribunal soulignera que « la volonté du législateur européen est en effet de rendre plus clair et plus accessible à la partie lésée la motivation des actes qui la concernent pour qu’elle puisse, en connaissance de cause, prendre position ou faire valoir ses droits dans les meilleurs délais ».

Abordant les faits et constatant l’usage de formules pré-imprimées standardisée, le Tribunal en stigmatisera l’utilisation considérant qu’elles ne répondent pas à la volonté du législateur et à la notion de « motivation »

De même, le Tribunal relèvera que l’assureur se borne à transmettre la version de son assurée mais ne déclarera pas faire sienne cette version. Le fait que les versions des parties soient contradictoires ne suffit pas, « la contradiction des thèses et des points de vue en présence ne constitue pas, en soi, une motivation ».

À juste titre, le Tribunal en déduira que :

« En se bornant à transmettre la version de son assurée, l’assureur n’a fait que confirmer que la responsabilité de son assurée était contestée ou n’a pas été clairement établie, mais il n’a d’aucune manière indiqué les motifs pour lesquels il se refusait à indemniser la partie adverse. »

Le Tribunal considérera, de même, que le fait de solliciter de son adversaire de communiquer les fondements de sa position ne constitue pas non plus une motivation au sens de l’article 14 de la loi relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicule automoteur du 21 novembre 1989.

Quant à la question des responsabilités, le Tribunal soulignera à juste titre que l’obligation de fournir une réponse motivée à une demande d’indemnisation est totalement indépendante de la preuve du bienfondé de la thèse de la partie lésée.

Pour ce qui est du prétendu abus de droit, le Tribunal rappellera que le demandeur avait fait valoir dans sa citation de manière expresse et non équivoque que l’absence de réponse motivée de l’entreprise faisait courir l’indemnisation de 250 € par jour.  Il appartenait donc à l’assureur de réagir immédiatement et d’envoyer une lettre contenant sa réponse motivée, ce qu’il n’avait pas fait.

Enfin, sur le  moyen pris de la lenteur de la justice, le Tribunal relèvera que l’assureur n’avait conclu qu’après le dépôt d’une requête sur pied de l’article 747.2 du Code judiciaire (procédure de mise en état). Le Tribunal condamnera donc l’assureur au paiement de la somme de 250 € par jour depuis la date de la citation jusqu’au dépôt des conclusions, soit la somme de 28.500 €.

Il faut saluer cette courageuse et extrêmement bien motivée décision qui a le mérite de rappeler en des termes non équivoques la portée des engagements de l’assureur saisi d’une demande d’indemnisation et les éventuelles  qui s’y attachent.

 

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