L’interprétation des contrats d’assurance revêt une importance cruciale au vu de la complexité et de la technicité qui caractérisent bien souvent ces conventions. Face à des clauses parfois ambiguës ou imprécises, les cours et tribunaux sont régulièrement amenés à en préciser la portée en appliquant les règles et les principes dégagés par le législateur et la jurisprudence.

L’objectif de cet article est double. D’une part, il s’agira d’analyser le cadre légal régissant l’interprétation des contrats d’assurance en examinant les principales règles posées par la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances. D’autre part, nous étudierons la mise en œuvre concrète de ces principes par les juridictions belges au travers d’une sélection de décisions.

I. Les règles légales d’interprétation

A. L’exigence de clarté et de précision

L’article 23, § 1er de la loi du 4 avril 2014 impose que l’ensemble des documents contractuels ainsi que toutes les clauses prises séparément soient rédigés en termes clairs et précis. Cette exigence, déjà présente sous l’empire de la loi du 25 juin 1992, a été renforcée et étendue par le législateur de 2014.

Ainsi, pas moins d’une vingtaine de dispositions de la nouvelle loi reprennent cette obligation de clarté et de précision tout au long de la vie du contrat. Le document d’information sur le produit d’assurance est également implicitement visé par cette règle.

La jurisprudence a eu l’occasion de sanctionner à de nombreuses reprises des clauses jugées ambiguës ou imprécises, que ce soit en les déclarant inopposables à l’assuré, en les annulant ou encore en les interprétant en faveur du preneur. L’ombudsman des assurances a récemment insisté sur la nécessité d’une communication claire et précise des exclusions de garantie.

B. L’équivalence des engagements

Outre la clarté et la précision, l’article 23, § 1er interdit les clauses qui porteraient atteinte à l’équivalence entre les engagements de l’assureur et ceux du preneur d’assurance. Cette exigence d’équilibre doit s’apprécier de manière globale, à la lumière de l’ensemble des stipulations contractuelles.

Si le principe est clair, son application soulève certaines questions, notamment quant à la nature – économique ou juridique – de l’équivalence requise. Pour une partie de la doctrine, seul un déséquilibre significatif sur le plan juridique, affectant les droits et les obligations des parties, serait visé. D’autres auteurs considèrent au contraire que l’équivalence doit également s’apprécier sur le plan économique.

La jurisprudence fournit plusieurs illustrations de clauses créant un déséquilibre manifeste, comme celles privant l’assuré du bénéfice de l’assurance en cas de simple négligence ou imposant des déchéances disproportionnées. Les cours et tribunaux procèdent à une appréciation in concreto, au regard de l’économie générale du contrat, en tenant compte le cas échéant du pouvoir modérateur du juge.

C. L’interprétation en faveur du preneur ou de l’assuré

L’article 23, §2 de la loi de 2014 consacre la règle selon laquelle le contrat d’assurance s’interprète, dans le doute, en faveur du preneur d’assurance ou de l’assuré. Ce principe, qui s’inspire de l’ancien article 1162 du Code civil et de la règle contra proferentem, vise à protéger la partie réputée faible au rapport contractuel.

Le champ d’application de cette règle protectrice appelle quelques précisions. Tout d’abord, elle ne joue qu’en cas de doute sur la portée d’une clause, ce qui appartient à l’assuré d’établir. Ensuite, elle bénéficie non seulement au preneur, mais aussi à l’assuré, ce qui inclut l’assuré pour compte de qui il appartiendra. La doctrine considère que le bénéficiaire en assurance-vie devrait également pouvoir s’en prévaloir.

Des aménagements sont toutefois prévus pour certaines catégories de contrats. Ainsi, l’interprétation en faveur de l’assuré ne s’applique pas, sauf exceptions, aux contrats d’assurance relatifs à des « grands risques » tels que définis à l’article 5, 39° de la loi. Dans ces hypothèses, on présume que le preneur ne dispose d’un pouvoir de négociation suffisant que pour veiller lui-même à la préservation de ses intérêts.

II. L’application jurisprudentielle des règles d’interprétation

Les Cours et les tribunaux sont régulièrement amenés à interpréter des clauses d’assurance dont le sens est contesté. Quelques exemples permettent d’illustrer concrètement la mise en œuvre des principes d’interprétation dégagés par la loi et la doctrine.

A. L’appréciation du caractère clair et précis

Un arrêt de la Cour d’appel de Mons du 6 mai 2003 fournit une bonne illustration d’une clause jugée ambiguë. En l’espèce, le contrat d’assurance incendie excluait de la garantie les dégâts causés par un “tremblement de terre”. Or, le sinistre avait été provoqué par un affaissement de terrain consécutif à d’anciennes activités minières. Les juges ont considéré que la notion de “tremblement de terre” était équivoque, car elle pouvait viser soit uniquement les séismes d’origine naturelle, soit plus largement tout ébranlement du sol quelle qu’en soit la cause. Face à cette ambiguïté, la Cour a fait application de la règle d’interprétation en faveur de l’assuré et écarté l’exclusion.

Un autre exemple est donné par un jugement du Tribunal de commerce de Mons du 23 janvier 1997. La police d’assurance crédit souscrite par un concessionnaire automobile contenait une clause définissant le sinistre comme “la défaillance d’un acheteur, personne physique”. Les juges ont estimé que cette définition était imprécise, car elle n’indiquait pas clairement si la garantie était limitée aux seuls acheteurs-consommateurs ou si elle s’étendait aussi aux acheteurs-professionnels. Là encore, le doute a profité à l’assuré.

B. Le contrôle de l’équivalence des engagements

Un arrêt de la Cour d’appel de Liège du 26 juin 2012 offre une bonne illustration d’une clause rompant l’équilibre des prestations. Le contrat d’assurance incendie prévoyait que l’indemnité due par l’assureur serait réduite de moitié en cas d’inoccupation des locaux supérieure à 90 jours. Les juges ont considéré que cette sanction était manifestement disproportionnée par rapport au manquement de l’assuré, car elle revenait à le priver de la moitié de la couverture pour une inoccupation somme toute limitée. La clause a donc été annulée pour déséquilibre manifeste.

Un autre exemple est fourni par un jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles du 23 juin 2010. La police d’assurance auto permettait à l’assureur de résilier le contrat après chaque sinistre, alors que l’assuré ne disposait pas d’une faculté équivalente. Cette dissymétrie a été jugée contraire à l’exigence d’équivalence des engagements. Les juges ont fait usage de leur pouvoir modérateur pour supprimer le droit de résiliation discrétionnaire de l’assureur.

C. La mise en œuvre de l’interprétation en faveur de l’assuré

Un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 15 décembre 2014 illustre bien la portée de la règle d’interprétation en faveur de l’assuré. Le contrat d’assurance incendie garantissait les dégâts causés par la “tempête”, sans autre précision. Suite à un sinistre provoqué par des pluies abondantes accompagnées de vents violents, l’assureur refusait d’intervenir au motif que la vitesse du vent n’avait pas atteint les 100 km/h requis selon lui par la notion de “tempête”. La cour a considéré que le terme était ambigu et devait s’interpréter en faveur de l’assuré. Elle a jugé qu’à défaut de définition contractuelle, la “tempête” devait s’entendre de tout épisode de vents violents, sans condition de vitesse minimale. L’assuré a donc pu bénéficier de la couverture.

Un autre exemple est donné par un jugement du Tribunal de commerce de Liège du 10 septembre 2009. La police d’assurance crédit comportait une clause excluant la garantie en cas de “faute intentionnelle” de l’assuré. Ce dernier avait accordé un crédit excessif à un client notoirement en difficulté. L’assureur y voyait une faute dolosive justifiant un refus de couverture. Les juges ont au contraire considéré que la clause devait s’interpréter restrictivement et viser uniquement les hypothèses de collusion frauduleuse entre l’assuré et son client. La simple imprudence, même grossière, ne suffisait pas à caractériser une “faute intentionnelle”. L’assuré a donc pu bénéficier de l’indemnisation.

Ces quelques exemples montrent que les cours et tribunaux veillent à faire une application rigoureuse mais équilibrée des règles d’interprétation du contrat d’assurance. Si le principe de protection de l’assuré est central, il ne conduit pas pour autant à faire systématiquement droit à ses prétentions. Tout est affaire d’espèce, au regard de la rédaction précise des clauses concernées et de l’économie générale du contrat.

III. Perspectives et enjeux

A. L’impact de la réforme du droit des obligations

La réforme du droit des obligations, actuellement en cours d’élaboration, devrait consacrer la règle contra proferentem dans le nouveau Code civil (art. 5.67 de l’avant-projet). Cette évolution soulève la question de l’articulation entre ce principe général et les règles spécifiques du droit des assurances.

Certains auteurs plaident pour le maintien d’un régime dérogatoire propre aux contrats d’assurance, justifié par la nécessité d’une protection renforcée de l’assuré. D’autres considèrent au contraire que l’interprétation contra proferentem du droit commun devrait à terme se substituer à la règle de l’article 23, § 2 de la loi de 2014.

B. Les défis de l’interprétation des contrats d’assurance

Au-delà des évolutions législatives, l’interprétation des contrats d’assurance doit faire face à plusieurs défis. Il s’agit d’abord de concilier la protection de l’assuré, partie faible au contrat, avec les impératifs de sécurité juridique et de prévisibilité qui sont essentiels dans le secteur de l’assurance.

L’interprétation des contrats doit également s’adapter aux nouvelles pratiques du marché, marquées par une digitalisation croissante. La conclusion de contrats par voie électronique soulève de nouvelles questions, notamment quant à la portée des documents précontractuels et à la prise en compte des échanges intervenus en ligne.

Enfin, il importe de veiller à la cohérence et à l’harmonisation des solutions juridiques. Si une certaine casuistique est inévitable au vu de la diversité des clauses et des situations, les cours et tribunaux devraient s’efforcer d’assurer une application uniforme et prévisible des principes d’interprétation.

Conclusion

Au terme de cette analyse, il apparaît que l’interprétation du contrat d’assurance obéit à des principes spécifiques destinés à assurer une protection de l’assuré en tant que partie faible. Les règles posées par la loi du 4 avril 2014, telles qu’appliquées et précisées par la jurisprudence, imposent une rédaction claire et équilibrée des clauses, sous peine de sanctions.

Pour garantir la sécurité juridique et répondre aux attentes légitimes des assurés, il est essentiel que les assureurs poursuivent leurs efforts en vue d’améliorer la lisibilité et la transparence des contrats. Une interprétation cohérente et équilibrée des clauses dans le respect des intérêts de toutes les parties constitue également un enjeu majeur pour les prochaines années.

En définitive, l’interprétation du contrat d’assurance apparaît comme un exercice délicat, qui doit tenir compte d’impératifs parfois contradictoires. Entre protection de l’assuré et sécurité juridique, entre application de règles générales et prise en compte des spécificités de chaque contrat, les cours et tribunaux sont amenés à trouver un juste équilibre, dans un contexte en constante évolution.

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