Voici le texte qui fut présenté par Me Denis Gouzée, avocat au sein du cabinet Legalex Bruxelles, lors du 75e anniversaire de FEPRABEL.

Les chameliers mésopotamiens avaient déjà perçu que seuls ils ne pouvaient rien, mais qu’ensembles ils pouvaient tout. Ils mutualisaient le risque, répartissant entre eux le dommage lorsqu’un marchand venait à perdre son chameau.

Quant aux navigateurs phéniciens, le sauvetage du navire justifiait que la charge des marchandises sacrifiées soit répartie entre tous.

Mais, déjà dans l’antiquité, cette idée généreuse de solidarité laissa la place à l’analyse de risque rémunérée. Un bailleur de fonds finançait une expédition maritime et n’était remboursé que dans l’hypothèse où le navire arrivait à bon port.

Le bénéfice du bailleur de fonds comprenait, outre le loyer de l’argent, une prime relative au risque couru.

Sous l’influence du pape Grégoire IX qui interdisait la stipulation d’un intérêt dans le prêt à la grosse, les ingénieux juristes italiens vendirent la marchandise sous condition résolutoire de l’arrivée à bon port, le paiement du prix étant soumis à la condition suspensive de l’absence de naufrage.

L’acheteur conservait une certaine somme, que l’on ne qualifiait pas encore de prime, mais l’histoire était en marche.

Du moins l’assurance maritime, celle qui couvrait les naufrages, le commerce international. Œuvre empirique et spéculative l’assurance maritime connut les écueils du manque de solvabilité de l’assureur, de l’absence de connaissance actuarielle, et, déjà, de la fraude à l’assurance par la recherche de bénéfice au travers de sinistres imaginaires.

Le commerce n’aime pas le désordre et l’insécurité. Il fallait réguler.

Les 16e et 17e siècles donnèrent naissance au Guidon de la mer d’abord, à l’Ordonnance de la Marine ensuite. Le principe indemnitaire avait vu le jour, l’assurance se structurait.

Les marchandises n’étaient pas les seules en péril, les capitaines de navires pouvaient périr ou être enlevés par les pirates. L’assurance vie verra timidement le jour, mais, comme tout ce qui touche à la vie, des considérations éthiques ou morales en freinaient, voire en interdisaient le déploiement.

Comme à de nombreuses reprises dans son histoire, c’est une grande catastrophe qui donnera naissance à l’assurance terrestre : le grand incendie de Londres de 1666.

Mais que serait l’assurance sans les sciences, sans le calcul de probabilité mis sur les fonds baptismaux par Pascal et élevés par Fernat, Huygens et Bernouli.

Après les assurances maritimes, les assurances vie, les assurances terrestres de dommages, le 19e siècle vit apparaître les assurances de responsabilité.

Non sans mal.

Une assurance qui a pour conséquence de décharger le fautif du poids de ses actes n’était-elle pas immorale, dangereuse ?

Il faudra attendre 1845 pour que soit affirmée la licéité et même l’utilité des assurances de responsabilité.

Néanmoins, mémoire de ces temps anciens, la loi de 1874 exclura encore les fautes lourdes de son application et il faudra attendre notre loi de 1992 pour inverser cette tendance.

Revenons sur notre territoire national : il est remarquable de souligner que notre loi de 1874 fut une des premières codifications de l’assurance terrestre qui allait servir de modèle au-delà de nos frontières, aux Italiens et même aux Iraniens.

Témoin de son temps, cette loi moins consumériste qu’aujourd’hui, était largement supplétive laissant une large marge de manœuvre aux assureurs et à l’autonomie de leur volonté.

Est-il besoin de dire que cette autonomie se traduisit par l’expression de la volonté des assureurs qui firent la loi.

Nos voisins, Suisses, Allemands et Français prirent plus rapidement conscience de ce déséquilibre économique entre les cocontractants et rédigèrent une réglementation plus protectrice des consommateurs, et revêtue d’un caractère largement impératif.

L’évolution des techniques, celle du marché et de la jurisprudence rendaient notre loi poussiéreuse. Ainsi, dans la loi de 1874, les assurances de responsabilité n’étaient qu’à peine évoquées.

Comme le sont souvent les précurseurs, nous étions dépassés, inadaptés et une réforme urgente s’imposait. Mais si l’urgence commande… le parlement dispose.

Il faudra attendre 1937, pour voir le professeur Van Dievoet nommé Commissaire Royal aux assurances.

Son travail fut prodigieux et il est aujourd’hui encore instructif de se plonger dans son rapport et dans ses projets de loi.

Monsieur Van Dievoet avait compris la nécessité d’une réforme en profondeur de l’assurance, du statut des intermédiaires d’assurances, de la réassurance, de l’enseignement des assurances, du contrôle des assurances.

Sur le plan historique, il est amusant de constater qu’en 1937, environ 500 entreprises d’assurances opéraient en Belgique et que la moitié d’entre elles étaient étrangères.

L’encaissement pour toute la Belgique était de 1 milliard 600 millions de francs belges, deux tiers de ces primes étant encaissés par des sociétés belges

En parcourant ce rapport, on se rappelle que ce n’est qu’en 1935 qu’un premier projet de loi sur l’assurance obligatoire de la responsabilité des propriétaires d’automobile fut déposé.

Le professeur Van Dievoet fit un constat : « on peut faire au régime actuel de l’assurance en Belgique deux critiques. C’est que les garanties offertes par certains assureurs ne sont pas toujours suffisantes et que la rédaction et l’exécution des contrats peut laisser à désirer. »

Que dirait-il aujourd’hui ?

La question du Monopole de l’Etat fut également posée.

Elle était déjà apparue dans la presse belge dès l’année 1834.

L’idée de la création d’un impôt des assurances trouvant son origine dans le fait que ceux qui ne sont pas assurés pèsent sur la société.

Ce constat justifierait de rendre l’assurance générale et obligatoire. La profession d’assureur serait alors interdite pour des risques déterminés par la loi.

Ne le cachons pas, le but déclaré était également (déjà) de nature fiscale et budgétaire. Les prévisions évoluèrent de 10 à 12 millions de recettes à 893.610 francs (sic) pour être abandonnées par Frère-Orban qui considéra qu’il s’agissait d’une chimère à laquelle il fallait renoncer.

En 1936 un nouveau projet de loi de monopole avait été déposé pour différents risques dont l’incendie, les accidents du travail, et les véhicules automoteurs.

Le professeur Van Dievoet, après un tour d’horizon du marché et de nos voisins se prononça résolument contre et déposa un rapport charpenté et visionnaire.

La Seconde Guerre mondiale sonna le glas de ce projet ambitieux et il faudra attendre 1975 pour disposer d’une loi sur le contrôle des assurances, 1992 pour une réforme de la loi de 1874 et 1995 pour une timide réglementation du statut de l’intermédiation.

La gestation de la loi de 1992 fut longue, mais sa naissance ne se fit pas dans la douleur. Les fées penchées sur son berceau s’accordèrent pour considérer qu’il valait mieux une législation consumériste adaptée, s’inscrivant dans une perspective européenne d’ouverture des marchés qu’une loi devenue dépassée.

Le bébé fit néanmoins rapidement ses maladies infantiles et la loi du 16 mars 1994 vint apporter les vaccins nécessaires jusqu’à sa majorité.

Les vingt ans de la loi de 1992 engendrèrent leur lot de colloque, de réflexion et donc de réformes. De 2002 à ce jour, il y eut en moyenne près de deux réformes par an. Son ancêtre, la loi de 1874 n’avait connu pour sa part qu’un amendement en 118 ans.

Par ailleurs, sur la loi du 25.6.1992 ou en parallèle se sont greffées d’innombrables réglementations ou législations mettant à mal une lecture harmonieuse, structurée et cohérente de cette législation.

Ainsi, pourquoi réglementer au sein de la loi de 1992 les modes spécifiques de résiliation après sinistre pour les assurances de la responsabilité civile obligatoire en matière de véhicules automoteurs alors qu’il existe à cet égard une législation particulière ?

Comment, pour un praticien, ou pour cet hypothétique citoyen présumé ne pas ignorer la loi, retrouver son chemin dans les nombreux Arrêtés Royaux.

Les grandes catastrophes, qu’elles soient d’origine naturelle ou humaine, le déficit de la sécurité sociale, le souci légitime du législateur des plus démunis ou des victimes dans l’hypothèse où le responsable ne peut être désigné, ont conduit le législateur à intervenir, parfois en ordre disparate.

Comment ne pas envier nos voisins français et leur Code des assurances de 512 articles régissant de manière homogène (à tout le moins sur la forme) le contrat d’assurance, les assurances obligatoires, les entreprises d’assurances, la libre prestation de service, le fonds de garantie, les intermédiaires d’assurances…

Je n’empiéterai pas sur les autres orateurs en évoquant l’Europe et l’élaboration des « Principes du droit européen du contrat d’assurance » qui verrait naître un droit général harmonisé du contrat d’assurance.

Ce droit coexisterait avec les législations nationales, les parties étant libres d’y adhérer conventionnellement. Sans doute, cette nouvelle impulsion permettra-t-elle de remettre un peu de structure dans notre législation.

En mémoire du professeur Van Dievoet et son regretté rapport, comment ne pas déplorer que la profession d’intermédiaire n’ait été abordée que sous l’angle de l’accès à la profession, sans qu’une réflexion en profondeur n’ait lieu sur les rapports les liant aux assurés et aux assureurs.

Certains penseront peut-être que l’absence de toute réglementation laisse la place à des usages et à une autorégulation, mais une réflexion prospective n’est-elle pas préférable à un ancrage sur des traditions parfois dépassées.

Le professeur Van Dievoet, dans l’article 22 de son projet prévoyait qu’en cas de renouvellement d’un contrat d’assurance, le doit aux commissions était transféré au nouvel intermédiaire désigné par l’assuré, sans qu’il ne soit nécessaire pour cela de résilier le contrat.

Il y a 75 ans, la question du mandat de placement et son cortège d’absurdités aurait ainsi pu être réglée.

Un anniversaire est l’occasion de formuler un vœu. Je souhaite dès lors à FEPRABEL de pouvoir inscrire son futur dans un cadre législatif cohérent, harmonieux et sécurisant.

Toute ambiguïté législative est source d’insécurité juridique. Maillon nécessaire entre l’assuré et l’assureur, l’intermédiaire ne peut et ne doit être victime d’une législation qui manquerait de clarté ou de lisibilité.

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