Un arrêt du 4.12.2014 de la Cour Constitutionnelle qui aura de lourdes conséquences pour les assureurs

Dans un précédent article, nous tirions les leçons de l’important arrêt de la Cour Constitutionnelle du 3.2.2011 qui posait le principe que lorsque deux véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation et qu’il est impossible de départager les responsabilités, l’indemnisation de la personne lésée est répartie, par parts égales, entre les assureurs couvrant la responsabilité civile des conducteurs de ces véhicules, à l’exception de ceux dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée

Les assureurs soutenaient que cette hypothèse n’était applicable qu’en cas de dommage corporel. Dans un arrêt du 4.12.2014, la Cour Constitutionnelle tranche à nouveau.

Un accident de roulage est survenu et il apparaît qu’on ne peut déterminer lequel des deux véhicules a brûlé le feu rouge et, partant, lequel des deux véhicules est l’auteur du dommage subi par la Région wallonne qui a introduit une demande d’indemnisation.

Les deux assureurs des véhicules impliqués soutenaient que l’article 19bis-11 de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, ne couvre que les dommages corporels.

Le Tribunal de police de Liège décide, d’office, de poser à la Cour la question.

Le Conseil des ministres a soutenu que l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 n’excluait pas l’indemnisation par les assureurs du dommage matériel encouru par les personnes lésées par un accident de roulage dès lors que le législateur n’a pas voulu limiter l’intervention des assureurs concernés à la seule réparation des lésions corporelles.

Il existe deux hypothèses distinctes et à ne pas confondre

  • L’hypothèse visée à l’article 19bis-11, § 1er, 7°, est une hypothèse particulière, celle où le véhicule automoteur qui a causé l’accident n’a pas été identifié.

Dans ce cas, le Fonds commun de garantie est substitué à la personne responsable et l’indemnisation est limitée à la réparation des dommages corporels.

  • L’hypothèse visée à l’article 19bis-11, § 2, est autre : il s’agit de régler l’intervention des assureurs lorsque les auteurs de l’accident sont connus mais qu’il n’est pas possible de déterminer lequel de ces auteurs a causé l’accident.
  • La première catégorie est victime d’un accident de roulage dont l’auteur est inconnu et, partant, également son assureur; dans ce cas, l’intervention du Fonds, substitué à la personne responsable, est limitée à la seule réparation des dommages résultant des lésions corporelles.

Dans le premier cas, les auteurs ne sont pas identifiés; dans le second, ils le sont.

D’autre part, les personnes appelées juridiquement à indemniser la personne lésée sont aussi différentes : il s’agit du Fonds précité, dans le premier cas et uniquement pour les dommages corporels subis, et des assureurs respectifs des auteurs impliqués dans le second cas.

Et dans ce dernier cas, il est normal que ces assureurs doivent réparer tous les dommages, corporels et matériels. L’article 19bis-11, § 2, peut et doit être interprété en ce sens.

Quant à la différence de traitement résultant de la comparaison entre ces deux dispositions, elle est justifiée car il est normal que le Fonds n’intervienne dans le cas des auteurs inconnus que pour la réparation des dommages corporels et ce, pour éviter toute forme de collusion et sauvegarder un régime d’indemnisation payable.

En vertu de l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989, si plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de roulage et s’il n’est pas possible de déterminer lequel de ceux-ci a causé l’accident, l’indemnisation de la personne lésée est répartie, par parts égales, entre les assureurs couvrant la responsabilité civile des conducteurs de ces véhicules, à l’exception de ceux dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée.

De son côté, la Cour Constitutionnelle relève que si l’article 19bis-11, § 2, précité, ne contient par lui-même aucune limitation de la réparation qu’il vise aux seuls dommages corporels, l’interprétation de cette disposition qui est soumise au contrôle de la Cour apparaît comme prenant en compte l’article 4 de la loi, qui contient une telle limitation.

Le but recherché par le législateur était de reprendre, dans l’article 19bis-11 de la loi du 21 novembre 1989, ce qui était déjà prévu dans l’article 80, § 1er, de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d’assurances, certes avec les modifications qui s’imposaient, eu égard à la réglementation européenne et à la jurisprudence de la Cour.

En adoptant la règle contenue dans l’article 19bis-11, § 1er, 7°, le législateur a plus précisément voulu répondre à l’arrêt n° 96/2000, du 20 septembre 2000, dans lequel la Cour a dit pour droit que l’article 80, § 1er, de la loi précitée du 9 juillet 1975 était incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il excluait de l’intervention du Fonds commun de garantie la réparation du dommage corporel d’une personne blessée en cas de non-identification du véhicule.

Alors qu’en 1971 le législateur a voulu garantir l’intervention du Fonds commun de garantie parce que, « pour des raisons de justice sociale, il ne convient pas de laisser sans réparation les victimes d’accidents de la circulation qui ne peuvent être dédommagées » (Doc. parl., Sénat, 1970-1971, n° 570, p. 52), en 1975 il a prévu une intervention limitée du Fonds commun de garantie, et ce sur la base de la justification suivante de l’amendement du Gouvernement qui est devenu la disposition en cause :

« Le texte du 2° du § 1er de l’article 50, tel qu’il était rédigé dans le Doc. 570 obligeait le Fonds Commun de garantie à intervenir dans n’importe quelle hypothèse de non-intervention d’une compagnie d’assurance agréée; cela visait, par exemple, toutes les restrictions apportées à l’indemnisation des personnes lésées par la législation sur l’assurance de responsabilité civile automobile.

Les conséquences pécuniaires de cette disposition auraient été très lourdes. C’est pourquoi l’amendement reprend le texte du projet de loi primitif sur le contrôle des entreprises d’assurance (Doc., Sénat 269) qui prévoyait l’intervention du Fonds lorsque l’obligation d’assurance n’ayant pas été respectée, aucune entreprise d’assurance agréée n’est obligée par la loi à ladite réparation. Cette version est d’ailleurs celle du projet de loi relatif à l’assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile (art. 20, § 1er, 2°), qui a déjà été adopté à la Chambre.

L’amendement introduit en outre une disposition qui traduit la volonté des membres de la Commission des Affaires économiques d’étendre l’obligation d’intervention du Fonds à la réparation des dommages provoqués par un accident de la circulation imputable à un événement fortuit (Doc. Sénat, 570, p. 52) » (Doc. parl., Sénat, 1974-1975, n° 468-2, p. 19).

Compte tenu du but visé par la réglementation et des possibilités budgétaires du Fonds commun de garantie, qui doit être financé par les contributions des entreprises d’assurances autorisées à assurer la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs, il n’est pas déraisonnable que le législateur limite l’intervention du Fonds.

Le législateur n’a ainsi accordé l’intervention du Fonds que dans chacune des hypothèses décrites à l’article 19bis-11, § 1er.

C’est à la lumière des objectifs décrits et en tenant compte des limitations qu’ils impliquent qu’il convient d’examiner la constitutionnalité de la disposition en cause.

Les deux catégories de personnes visées par l’article 19bis-11, § 1er, 7°, d’une part, et par l’article 19bis-11, § 2, d’autre part, se trouvent dans une situation objectivement différente.

  • La seconde catégorie est victime d’un accident de roulage impliquant plusieurs véhicules dont les auteurs sont connus et, partant, également leurs assureurs, mais dont il est impossible de déterminer la part de responsabilité respective dans l’accident; dans ce cas, l’intervention du Fonds n’est pas requise.

Toutefois, les assureurs ne sont pas confrontés aux limitations budgétaires qui justifient que le Fonds commun de garantie indemnise uniquement les dommages résultant des lésions corporelles.

Pour ces assureurs, le risque financier qui résulte du dommage qui découle d’un accident pour lequel il n’est pas possible d’établir quel véhicule a causé l’accident ne diffère pas fondamentalement du risque financier du dommage qui découle d’un accident pour lequel il est possible d’établir quel véhicule a causé l’accident.

Dans les deux cas, il s’agit d’un risque qui doit être couvert par les primes d’assurance. Il n’est dès lors pas justifié que ces assureurs ne soient pas tenus d’indemniser le dommage matériel subi par la personne lésée.

Dans l’interprétation de la disposition en cause mentionnée en B.2.1, la question appelle une réponse affirmative.

L’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 peut toutefois être interprété en ce sens que les assureurs sont tenus de réparer aussi bien le dommage corporel que le dommage matériel subi par la personne lésée.

La circonstance que l’article 4, § 1er, alinéa 2, de la loi du 21 novembre 1989, visé en B.2.3, limite la réparation aux dommages corporels n’est pas de nature à déforcer cette interprétation.

En premier lieu, parce que l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 ne contient ni une quelconque limitation en ce qui concerne la nature du dommage subi par la personne lésée à l’égard des assureurs tenus à réparation, ni un renvoi à l’article 4, § 1er, alinéa 2, de cette loi.

En second lieu, parce que cette dernière disposition s’inscrit dans le cadre d’un régime fondé sur la responsabilité et sur les assurances de la responsabilité, alors que la règle contenue dans l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 est un régime d’indemnisation automatique qui est indépendant de l’intervention du Fonds et que la loi impose aux assureurs de la responsabilité civile des conducteurs de véhicules automoteurs (à l’exception des assureurs des conducteurs dont la responsabilité civile n’est indubitablement pas engagée).

Il découle de cet arrêt que lorsque deux véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation et qu’il est impossible de départager les responsabilités, l’indemnisation de la personne lésée, – que ce soit pour les dommages matériels ou corporels subis -, est répartie par parts égales, entre les assureurs couvrant la responsabilité civile des conducteurs de ces véhicules, à l’exception de ceux dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée

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