Lors du vol d’un véhicule, une des polémiques les plus fréquentes concerne la mise en œuvre des clauses qualifiées par l’assureur d’exclusion ou de déchéance en raison de la disparition (perte ou vol) préalable d’une des clés du véhicule. Un Arrêt de la Cour d’Appel de Mons du 8.9.2016 se livre à une analyse intéressante

Le preneur est propriétaire d’un véhicule LAND ROVER RANGE immatriculé GCC 729 et assuré notamment contre le vol auprès de l’assureur, aux termes d’une police « Confort Auto ».

Ce véhicule a été volé le 25 juillet 2011 vers une heure, alors qu’il avait été stationné à Tournai, quai du marché aux poissons par l’assurée ; il fut retrouvé dans l’Escaut, la clé du véhicule se trouvant sur le contact ; suite au sinistre, il fut déclaré en perte totale.

Lors de son audition par la police, l’assurée a précisé : le 23/07/2011, j’ai perdu ou on m’a volé les clés du véhicule dans mon établissement sis Quai Marché aux Poissons 17 à 7500 Tournai. Je n’ai aucun soupçon quant à l’auteur des faits.

Le 6 octobre 2011, l’assureur a avisé le preneur qu’elle refusait de couvrir ce sinistre, en ces termes :

Nous sommes en possession du rapport établi par notre délégué.
À la lecture de celui-ci, nous constatons que l’assurée a constaté la disparition de sa clé le 23/07/2011 et malgré cela a laissé son véhicule sur la voie publique. Elle n’a donc pas pris les mesures nécessaires afin de sécuriser le véhicule. Le dépanneur ainsi que les policiers ont confirmé la présence de la clé sur le contact lors du repêchage du véhicule.
Dès lors vous comprendrez qu’il ne nous est pas possible d’intervenir dans le présent cas.

L’assureur ne conteste pas la réalité du vol mais invoque une clause figurant en page 21 de ses conditions générales selon laquelle n’est pas couvert le vol survenant lorsque le véhicule se trouve inoccupé et que les précautions indispensables ont été négligées, notamment :

– portières et/ou coffres non verrouillés
– vitres, capotes et/ou toit ouvrant non fermé
– clé et/ou dispositifs de désarmement de l’antivol restés dans ou sur le véhicule
– absence ou non branchement du système antivol requis.

Aux termes de l’article 65 alinéa 1er de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances (ancien article 11 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre), le contrat d’assurance ne peut prévoir la déchéance partielle ou totale du droit à la prestation d’assurance qu’en raison de l’inexécution d’une obligation déterminée imposée par le contrat et à la condition que le manquement soit en relation causale avec la survenance du sinistre.

La clause qui permet à l’assureur de refuser sa garantie en raison de l’inexécution par l’assuré de ses obligations conventionnelles constitue une clause de déchéance au sens de cette disposition (Voyez Cass. 20 septembre 2012 C.12.0029.F ; Cass. 5 février 2016 C.15.0179.F, www.juridat.be).

En l’espèce, l’assureur reproche à son assurée d’avoir stationné le véhicule au même endroit que la veille, soit en face de l’établissement qu’elle exploitait et où ses clés avaient disparu.

Pour entraîner la déchéance du droit à la garantie, la clause invoquée doit imposer clairement et précisément une obligation déterminée à l’assuré.

Selon la définition du dictionnaire Robert, déterminer signifie en effet indiquer, délimiter avec précision et est synonyme de caractériser, définir, fixer, préciser, spécifier.

La mesure de prudence exigée par l’assureur doit donc être expressément précisée par le contrat. A défaut, le manquement n’est pas susceptible d’entraîner la déchéance de la garantie en application de l’article 65 alinéa 1er de la loi du 4 avril 2014.

L’assureur ne peut stipuler la méconnaissance d’une obligation de diligence formulée en termes généraux comme motif de déchéance du droit à une prestation d’assurance (Voyez Cass. 12 janvier 2007 C.05.0083.N, www.juridat.be).

Le but de cette disposition est de protéger l’assuré en l’avisant précisément des obligations qui pèsent sur lui afin qu’il sache quel comportement précis il doit adopter pour que la garantie lui soit acquise et par conséquent quel manquement l’expose à la déchéance de la garantie.

En l’espèce, le contrat qui lie les parties n’impose pas formellement à l’assuré de ne pas stationner le véhicule sur la voie publique lorsqu’il constate la perte ou le vol de ses clés.

C’est dès lors à tort que les premiers juges ont raisonné par analogie et ont considéré que le manquement reproché devait être assimilé au fait de laisser un véhicule non verrouillé ou avec la clé à bord.

L’assureur invoque également un manquement de son assurée à son obligation de déclarer le vol de ses clés à son assureur et de déposer immédiatement plainte auprès des autorités judiciaires ou de police compétente, comme stipulé en page 25 de ses conditions générales.

Aux termes de l’article 74 § 1er et § 2 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, l’assuré doit, dès que possible et en tout cas dans le délai fixé par le contrat, donner avis à l’assureur de la survenance du sinistre.

L’article 76 § 1er et § 2 de la même loi dispose : si l’assuré ne remplit pas une des obligations prévues aux articles 74 et 75 et qu’il en résulte un préjudice pour l’assureur, celui-ci a le droit de prétendre à une réduction de sa prestation, à concurrence du préjudice qu’il a subi.

L’assureur peut décliner sa garantie si, dans une intention frauduleuse, l’assuré n’a pas exécuté les obligations énoncées aux articles 74 et 75.

L’assureur ne prétend pas avoir subi un préjudice du fait que la disparition des clés ne lui a pas été immédiatement déclarée ainsi qu’à la police ; elle n’allègue pas davantage que cette obligation n’a pas été exécutée dans une intention frauduleuse.

Par ailleurs, l’assureur ne démontre pas l’existence d’un lien causal entre ce manquement et la survenance du sinistre.

Elle ne peut donc décliner sa garantie sur cette base.

L’assureur soutient ensuite que le preneur a manqué de bonne foi dans l’exécution de la convention et a commis une faute lourde qui l’autorise à refuser son intervention en application de l’article 62 de la loi du 4 avril 2014 sur les assurances (ancien article 8 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre).

En vertu de cette disposition, nonobstant toute convention contraire, l’assureur ne peut être tenu de fournir sa garantie à l’égard de quiconque a causé intentionnellement le sinistre.

L’assureur répond des sinistres causés par la faute, même lourde, du preneur d’assurance, de l’assuré ou du bénéficiaire. Toutefois, l’assureur peut s’exonérer de ses obligations pour les cas de faute lourde déterminés expressément et limitativement dans le contrat.

Il n’est pas prétendu que le preneur a causé intentionnellement le sinistre.

Comme dit ci-dessus, la faute reprochée n’est nullement déterminée par le contrat de sorte que l’assureur ne saurait s’exonérer de ses obligations en application de cette disposition.

L’assureur soutient enfin qu’en stationnant le véhicule litigieux en face de l’établissement où elle avait constaté la disparition de sa clé la veille et en s’abstenant de déclarer le vol aux autorités compétentes, l’assurée a aggravé fautivement et significativement le risque de vol du véhicule.
L’article 81 de la loi du 4 avril 2014 sur les assurances (ancien article 26 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre) dispose :

Aggravation du risque.

§ 1er. Sauf s’il s’agit d’un contrat d’assurance sur la vie, d’assurance maladie ou l’assurance-crédit, le preneur d’assurance a l’obligation de déclarer, en cours de contrat, dans les conditions de l’article 5, les circonstances nouvelles ou les modifications de circonstance qui sont de nature à entraîner une aggravation sensible et durable du risque de survenance de l’événement assuré.

§ 3. Si un sinistre survient et que le preneur d’assurance n’ait pas rempli l’obligation visée au § 1er du présent article :
a) l’assureur est tenu d’effectuer la prestation convenue lorsque le défaut de déclaration ne peut être reproché au preneur ;
b) l’assureur n’est tenu d’effectuer sa prestation que selon le rapport entre la prime payée et la prime que le preneur aurait dû payer si l’aggravation avait été prise en considération, lorsque le défaut de déclaration peut être reproché au preneur….

Il appartient à l’assureur, en cas de contestation, d’établir que des circonstances nouvelles sont de nature à entraîner une aggravation sensible et durable du risque de survenance de l’événement assuré (Voyez J.-L. FAGNART, Le contrat d’assurance en général, Traité pratique de droit commercial, Kluwer, tome III, 2ème édition, p.223, n° 414).

Cette obligation de déclaration des aggravations du risque en cours de contrat doit être appréciée de manière raisonnable.

Aucun reproche ne peut être fait au preneur d’assurance qui ne déclare pas certaines circonstances s’il ignore raisonnablement qu’elles peuvent influencer l’appréciation du risque par l’assureur (Voyez notamment Mons, [2° ch.], 13.06.2006, J.L.M.B., 2007, p.433 et références citées).

Si le défaut de déclaration ne peut être reproché au preneur, l’assureur est tenu d’effectuer la prestation convenue.

Seule l’absence de déclaration de l’aggravation sensible et durable du risque de survenance de l’événement assuré peut éventuellement donner lieu à sanction.

En l’espèce, il ne s’est pas écoulé plus de 24 heures entre le constat de la perte ou du vol des clés et celui du vol du véhicule, de sorte qu’il n’est pas démontré que le preneur s’est abstenu fautivement de déclarer une circonstance nouvelle de nature à entraîner une aggravation sensible et durable du risque de survenance de l’événement assuré.

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